ƒƒ Lecture Camille Hazard
Dolophine, cocaïne, endorphine, héroïne, kétamine…
Les deux monologues composant le dernier ouvrage de Jan Fabre, sont intimement liés par deux forces antinomiques. La vie et la mort. Comme souvent chez cet auteur, on fait le grand saut entre l’enfer et une exaltation sublime, artificielle. Artificielle car la force qui anime le personnage, pour ne pas mourir physiquement et intellectuellement, ce sont les drogues, les vraies, les dures celles qui ne laissent aucune échappatoire. Il n’est plus question de « cure de désintoxe » pour libérer son corps des substances psychotropes mais au contraire de remplir ses veines, son nez, son cerveau avec frénésie.
Moi, Simon,
Gangster de l’art
Juché sur une colonne blanche
Sur le toit du théâtre
Telle une bougie lumineuse
Dressé sur son chandelier
Je brillerai
Comme le soleil, de toutes parts
Nuit et jour
J’éclairerai dans l’obscurité
Tous les pèlerins […]
Simon, gangster de l’art.
A travers Antoni (dans Drugs kept me alive), puis Simon, suicidaires exaltés, qui auraient pu être le même personnage à différentes époques de leur vie, Fabre met en scène la destruction et la renaissance, le caractère jusqu’au-boutiste du corps objet, du corps prisonnier de la maladie qui devient sujet d’expérimentation. Les monologues intérieurs de ces corps en souffrance sont autant de métaphores sur le roulis du monde, sur l’offre et la demande qui régissent nos sociétés, sur l’Art et ses bonnes gens qui la composent. Simon, gangster de l’art, que l’on voit comme usurpateur et mafieux, ingurgite, bout par bout, le chef-d’œuvre de Klimt « Le cri », qu’il vient de dérober au musée National des Beaux-Arts d’Oslo. Lui-même devient œuvre, devient Art. A chaque « sniff » de sa poussière d’ange, un cri muet accentue la confusion entre l’œuvre et l’homme.
Cet univers funèbre, tellement sombre qu’il nous arrive de ressentir malaise et dégoût, est embrasé par une odeur de sainteté tout au long de Drugs kept me alive. Le monologue est un long poème allégorique à la manière de psaumes et scandé par l’obsessionnelle question : Suis-je malade ? On retrouve parfois chez Antoni, les traits du visage du personnage de l’Homme que Pasolini met en scène dans sa pièce Orgie ; Parabole autour d’uncouple tragique qui s’embourbe dans la destruction du plaisir sadomasochiste, espérant renaître un lundi de Pâques…
Les antihéros de Fabre deviennent martyrs tandis que nous prenons la place de fidèles, de « moines esclaves ».
Terriblement poétiques, hautement dérangeants, ces deux textes nous renvoient à un espace-temps inconnu et effrayant, celui d’entre la vie et la mort dans lequel Fabre semble nous dire qu’à cet instant précis, enfin, nous pouvons être vivants, créer, développer une lucidité, comprendre la vie avant que le rideau ne se baisse à jamais.
Drugs kept me alive et Simon, gangster de l’art
De Jan Fabre
Traduit du néerlandais par Michèle Deghilage
Paru en novembre 2012 – Prix 14 euros
L’Arche Editeur, 2012, 80p, 14€
www.arche-editeur.com