Critiques // « Lear dreaming », conception et mise en scène de Ong Keng Sen au Théâtre des Abbesses

« Lear dreaming », conception et mise en scène de Ong Keng Sen au Théâtre des Abbesses

Juin 15, 2015 | Commentaires fermés sur « Lear dreaming », conception et mise en scène de Ong Keng Sen au Théâtre des Abbesses

article d’Anna Grahm

lear © DR

Dans ce rêve éveillé, la langue de Shakespeare est oubliée, remplacée par des chants, idéogrammes, luth, gongs et percussions. Reste le souvenir de Lear, une trame et un incroyable dépaysement. Pour entrer dans cet état de veille, il faut changer de vitesse, fondre toutes les références culturelles et temporelles et se laisser gagner par la lenteur. La vision de ce vieux lion en perruque, longue barbe et costume traditionnel qui avance comme un escargot nous plonge hors du temps. Mais de cet ailleurs se dégage une étrange folie.
Le spectacle, par sa chorégraphie minutieuse, évoque une boîte à musique. Chaque mouvement est d’une précision d’horloge. Chaque personnage ressemble à une poupée,chaque corps possède sa propre mécanique.L’homme de pouvoir vieillissant et sa cour évoluent dans un écrin, et chaque déplacement procède du rituel. L’espace scénique définit le domaine royal par un carré dans lequel s’inscrit, au centre, un autre petit carré,comme une pièce privée réservée au roi. Avec son pas glissant, le monarque se déplace sur une ligne invisible jusqu’à son trône, qui n’est en réalité qu’un minuscule tabouret.
Dans un coin du palais, l’aînée pose avec flegme et détachement,comme un meuble, et au passage de son père, sait donner l’air qu’il faut, pince les cordes de son luth pour lui chanter son respectueux et roucoulant amour. La lumière claque sur le blanc de sa robe d’époque froufroutante, sans déranger le visage impassible de la jeune fille, qui semble se satisfaire de son carcan.
Mais le rayon de lumière,comme la perception du roi, se modifie à la somptueuse apparition de la cadette, qui se refuse de répondre aux exigences de son père, par des louanges exagérées. Et les lasers verts hyper graphiques ternissent le rouge coquelicot de la robe de la jeune enfant, et emprisonnent sa longue plainte derrière des barreaux. Prise dans un tissu de faisceaux lumineux, elle ne peut qu’agripper au bout de ses doigts cette toile de lumière sous laquelle elle se retrouve piégée.
Mon flambeau n’a pu éclairer ma part d’ombre. Incapable de reconnaître l’authenticité au sein de son petit cercle fermé, le vieil homme finit au terme d’une errance au ralenti, par faire tomber les masques, comprend que la parole donnée peut être trompeuse, que la pureté innocente qui le flattait n’est que le bras armé d’un tyran meurtrier. Une scénographie hypnotique qui scrute un pouvoir qui s’octroie les discours sans prendre en compte ceux qui sont condamnés au silence.

Lear dreaming
en indonésien, japonais, coréen et mandarin surtitré en français
fragments de texte inspirés de Lear de Rio Kishida
Texte Rayayu Supanggah, Kang KwonSoon, Piterman
Conception et mise en scène Ong Keng Sen
Scénographie Justin Hill
Lumière Scott Zielinski
Composition musicale et jeu RahayuSupanggah
Musique électronique ToruYamanaka
Musique originale pour Pipa Wu Man
Gamelan Danis Sugiyanto, Gunarto, SuyotoMartorejo

avec NaohikoUmewaka, Zhang Yin, Kang KwonSoon, Piterman

du 10 au 13 juin 2015

Théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses – 75018 Paris
réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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