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Le Tartuffe ou l’imposteur, de Molière, mis en scène par Yves Beaunesne, Théâtre Montansier de Versailles

Fév 01, 2022 | Commentaires fermés sur Le Tartuffe ou l’imposteur, de Molière, mis en scène par Yves Beaunesne, Théâtre Montansier de Versailles

 

 

© Guy Delahaye

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Il est toujours inquiétant et excitant à la fois de se rendre à une nouvelle adaptation ou mise en scène d’un classique tel que Tartuffe tant on a peur d’être déçu et en même temps envie d’être surpris, tout en ayant éventuellement en tête une version fétiche.

Il est par ailleurs audacieux, périlleux, courageux pour un metteur en scène de se lancer dans un tel pari, une année de célébration d’un auteur aussi prolifique et célèbre que Molière (le quatrième centenaire de sa naissance), durant laquelle tous les théâtres de France vont accumuler leurs reprises, ou créations, redécouvrant même des versions méconnues comme Le Tartuffe ou l’hypocrite à la Comédie française actuellement. Tartuffe est en outre l’une des pièces de Molière les plus marquantes de sa carrière par la réaction paradoxale qu’elle a suscitée de la part de la Cour, le Roi l’ayant applaudie mais interdite à deux reprises (1664 puis 1667) en raison de l’opposition de l’Eglise voyant la dévotion tournée en ridicule.

Pourtant c’est moins cette tension entre l’Eglise et la Cour sur laquelle l’insistance se fait généralement, que les faiblesses et petitesses humaines qui est centrale dans l’adaptation de cette comédie de Molière, du début à son dernier acte, aussi artificiel soit-il. Personne n’est blanc ou noir. Chacun y va de son égoïsme, de ses frustrations, de ses compromissions dans ses relations familiales, amoureuses, sociales. Le Tartuffe d’Yves Beaunesne met en lumière avec raison ces aspects. Créée à Liège fin 2021, la pièce commence sa longue tournée en France au Théâtre Montansier de Versailles où la première représentation a été décalée de deux soirées, une semaine durant laquelle les reports ou aménagements causés par la Covid ont été légion dans les grandes comme les petites salles.

Pendant que les spectateurs s’installent dans la jolie salle versaillaise (construite un siècle après Molière, au plus près de la Cour), les comédiens sont autour d’une grande table nappée de blanc, décontractés, gais, farceurs. Leurs pantalons et chemises colorés placent d’emblée l’action au milieu du XXème siècle, seule indication scénique évidente pour dater la transposition voulue par le metteur en scène.

Les comédiens sont dans leur majorité très impliqués et convaincants, en particulier Tartuffe qui donne une couleur particulière à son personnage, résolument plus humaine que celle qui est majoritairement imprimée à cet « imposteur », notamment dans la scène III de l’acte III de l’aveu à Elmire. Ce n’est ni « l’imposteur », ni le profiteur ou l’hypocrite qui s’exprime devant nous, mais un homme, sujet à la passion, qu’il n’arrive d’autant moins à contrôler qu’elle semble lui échapper, le dépasser lui-même, non pas tant parce qu’elle serait uniquement un outil de tromperie, mais parce qu’elle est le surgissement de l’évidence d’une attirance et d’un désir qu’il ne peut réprimer et qui suscite une réaction d’Elmire dont l’ambiguïté est subtilement soulignée par Yves Beaunesne. L’imposture de Tartuffe se révélera plus tard dans toute sa splendeur, mais durant ce passage, Nicolas Avinée imprime à son personnage quelque chose de vraiment sensible, qui suscite le temps d’un instant de l’empathie. Un de ces fugaces moments de théâtre qui atteint une forme de vérité.

Si plusieurs autres comédiens suscitent l’adhésion (notamment la truculente Johanna Bonnet dans le rôle de Dorine et le délicat Benjamin Gazzeri-Guillet dans celui de Valère), l’on doit toutefois regretter que les alexandrins soient déclamés par la plupart d’entre eux sur un rythme souvent effréné, qui en dépit de la sonorisation (d’ailleurs imparfaite le soir de première, produisant des grésillements et chuintements désagréables) rend certains passages à peine audibles.

Le décor ne suscite pas totalement l’adhésion non plus, autant certainement pour l’impression d’accumulation de meubles qui ne laisse aucun répit à l’œil et à l’imagination, que de la configuration du théâtre de Montansier. Des premiers rangs, on peut à peine deviner que la grande table se transforme en billard (et on ne saisit pas non plus totalement la symbolique recherchée), et à peine voir parfois certains comédiens.

Le spectacle est ponctué d’intermèdes musicaux de Camille Rocailleux, artiste prolifique aussi bien dans le spectacle vivant qu’au cinéma et qui avait déjà travaillé avec Yves Beaunesne à la Comédie Poitou-Charente. C’est une belle idée que d’avoir à trois reprises proposé des arrangements de chants traditionnels chrétiens (un Ave verum, un O salutaris et un Stabat mater) pour matérialiser la religiosité dévorant la maison d’Orgon, entonnés par les comédiens assis sur des bancs d’église en fond de scène presque plongés dans l’obscurité. Plus étonnants, sont les deux Gospels proposés dans des versions très rock and roll en particulier le premier par Tartuffe déchaîné, au micro à fil, qui suscite l’adhésion du public applaudissant spontanément la performance.

En dépit des quelques réserves, on sort finalement assez séduit par cette mise en scène, rafraîchissante oserait-on dire sans aucune condescendance, d’une pièce qui à côté d’adaptations très engagées et plus exigeantes (on pense à celle d’Ariane Mnouchkine au Festival d’Avignon en 1995) peut permettre de renouveler l’intérêt d’un public plus jeune, notamment de lycéens de première (très nombreux vendredi 28 janvier à Versailles) préparant leur bac de français.

 

© Guy Delahaye

 

Le Tartuffe ou l’imposteur, mise en scène d’Yves Beaunesne

Assisté de Pauline Buffet et Louise d’Ostuni

Dramaturgie : Marion Bernède

Scénographie : Damien Caille-Perret

Lumières : César Godefroy

Musique : Camille Rocailleux

Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz

Chef de chant : Hugues Maréchal

Chorégraphie des combats : Emilie Guillaume

Maquillage et coiffures : Marie Messien

 

Avec : Nicolas Avinée, Noémie Gantier, Jean-Michel Balthazar, Vincent Minne, Johanna Bonnet, Léonard Berthet-Rivière, Victoria Lewuillon, Benjamin Gazzeri-Guillet, Maria-Leena Junker, Maximin Marchand et Hughes Maréchal (claviers)

 

Durée 2 h 10

Jusqu’au 6 février 2022

Du mercredi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 h

 

 

Théâtre Montansier

13 rue des Réservoirs, 78000 Versailles

www.theatremontansier.com

 

Tournée :

Centre des Bords de Marne Le Perreux 10 février 2022

L’Azimut à Châtenay-Malabry 16 et 17 février 2022

Scène Nationale d’Albi 7 et 8 mars 2022

Théâtre Alexandre Dumas Saint-Germain-en-Laye 18 mars 2022

Théâtre la Colonne à Miramas 22 mars 2022

Théâtre l’Olympia à Arcachon 29 mars 2022

Théâtre de Suresnes Jean Vilar 1er avril 2022

Théâtre Jean Arp Clamart 2 avril

Scène nationale du Grand Narbonne 5 avril

Théâtre Molière Sète Scène Nationale Archipel de Thau 7 et 8 avril 2022

Théâtre de Nîmes 12 au 14 avril 2022

Théâtres de la ville de Luxembourg 20 au 22 avril 2022

Théâtre du Jeu de Paume Aix-en-Provence 3 au 7 mai 2022

Équinoxe-scène nationale de Châteauroux 10 mai  2022

L’Arsenal-Val de Reuil 13 mai 2022

 

 

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