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Le Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière, mise en scène d’Ivo van Hove, Comédie-Française

Jan 24, 2022 | Commentaires fermés sur Le Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière, mise en scène d’Ivo van Hove, Comédie-Française

 

© Jan Versweyveld, coll. Comédie-Française

 

ƒƒƒ article de Nicolas Brizault

Jean-Baptiste Poquelin a été baptisé le 15 janvier 1622. Molière oui, alors, anniversaire oblige, la Comédie-Française a choisi de présenter Le Tartuffe ou l’Hypocrite, mis en scène par Ivo van Hove. Epoustouflant, quel autre terme choisir pour expliquer que très rapidement on est « scotché » par ce spectacle ? Comment dire que la splendeur est partout ou presque ? En donnant juste le titre et le nom du metteur en scène ? Facile et réducteur, les comédiennes, les comédiens, ce décor, le jeu des lumières, le feu, la vidéo même. Et une salle archi-comble, heureuse.

Le Tartuffe ou l’Hypocrite est la première version, en trois actes, de ce qui a outré les dévots : un homme issu de la rue se fait passer pour un dévot extrême et ses mensonges sont si bien construits qu’ils coincent réellement un homme riche, prêt à lui donner sa fortune, mettant de côté sa famille, déshéritant son fils, etc. Les dévots passent pour des fourbes complets, et des raisons politiques liées à tout cela poussent à une interdiction, en 1667, donnant naissance à une pièce plus « douce », Tartuffe ou l’imposteur, en cinq actes avec un Deus ex machina pour arranger la fin. Ouf ! Il faut tout de même attendre 1669 pour que la « bonne » version soit enfin librement lancée et connaisse un grand succès. Le Tartuffe ou l’Hypocrite passe ainsi aux oubliettes.

Ivo van Hove construit là, avec cette « première version » un univers évident. Tartuffe est trouvé sous des couvertures, mis à nu et lavé pour rejoindre la maison d’Orgon, cet homme riche et un peu naïf qui, suivant les conseils sombres et fort peu avisés de sa mère, va se faire avoir par cet homme. Sa famille lutte contre une emprise certaine, fait tout pour tenter, puis réussir de lui faire comprendre la réalité et ses douleurs, un peu tard certes.

Et Ivo van Hove réussit. Il a sous la main des talents splendides, et comme une tragédie aussi fine que terrible, se déroule, là, en vers, devant nous. Tous et toutes sont… eh bien… fantastiques. Nous comprenons, suivons tout grâce à la « sobriété » fausse de la mise en scène. Une musique puissante et constante surprend les toutes premières minutes et illustre très vite un sens très contemporain dans la souffrance générale, la douleur, la perte parfois. Le « sombre » rebondit, s’étale, le texte amuse ici ou là, oui, mais surtout le souci immense des personnages face à cet homme, Tartuffe, détruisant tout à son profit, résonne. A voir Orgon et Tartuffe pris tous les deux dans une sorte de corps à corps, obéissance de l’un, emprise de l’autre. Fabuleux. Le lien sectaire entre les personnages est visible, Tartuffe curieusement et justement paraît comme seul. Certes pas avec Elmire, la femme d’Orgon. Elle et Tartuffe plongent comme dans un amour, envie de l’une, jeu de l’autre, puis jeu de l’une, envie de l’autre ? En tout cas ici aussi, le rire ne l’emporte pas tout à fait. Mensonges et désespoir, noirceur et réalité éclatante.

De toutes petites choses paraissent en trop, comme ces infos lumineuses en arrière-plan, Pourquoi ? Et puis nous apercevons l’ordinateur et celles et ceux qui devant mettent tout en route. Dommage. Et pas un mot mais les dernières images semblent de trop. Explication nette du futur de cette famille qui s’est bien faite avoir par Tartuffe, mais là, c’est comme si nous tombions dans du trop facile. Petite image qui s’effacera très vite, on n’en gardera pas de souvenir face à la puissance de tout le reste. Une image différente, plus réelle (?) du Molière dont nous avons tous l’habitude. Le Tartuffe ou l’Hypocrite n’est pas un spectacle habituel. Il est marquant. On sort de là comme retournés, sans une grande envie de retrouver l’atmosphère d’une fin d’après-midi à Paris. Trois actes qui avaient été interdits, trois actes nécessaires aujourd’hui, pour saisir ce Molière un peu plus clairement ? Et, peut-être encore une fois, mais pourquoi pas, cette équipe sur scène frétille de talent indescriptible. Pas évident d’écrire sérieusement cet ébahissement dont nous sommes de joyeuses victimes. Il en ressort du noir, des éclairs, une sobriété folle pourtant, un bonheur pas si fréquent que cela au théâtre. Joyeux anniversaire.

 

© Jan Versweyveld, coll. Comédie-Française

 

Le Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière

Mise en scène : Ivo van Hove
Dramaturgie : Koen Tachelet
Scénographie et lumières : Jan Versweyveld
Costumes : An D’Huys
Musique originale : Alexandre Desplat
Collaboration musicale : Solrey
Son : Pierre Routin
Vidéo : Renaud Rubiano
Réalisation maquillages : Claire Cohen
Assistanat à la mise en scène : Laurent Delvert
Assistanat à la scénographie : Jordan Vincent
Assistanat aux lumières : François Thouret

Avec Claude Mathieu, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Julien Frison, Marina Hands

Et les comédiennes et comédiens de l’académie de la Comédie-Française : Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan

 

Du 15 janvier au 24 avril 2022

Durée 1 h 45 sans entracte

Version interdite de 1664 restituée par Georges Forestier, avec la complicité d’Isabelle Grellet

 

 

Comédie-Française

Place Colette

75001 Paris

www.comedie-francaise.fr

Réservations 01 44 58 15 15

 

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