Critique de Denis Sanglard –
Le bon plaisir
« Le Roi S’Amuse » de Victor Hugo est un mélodrame mal balancé, mal foutu mais génial, hugolissime, où l’alexandrin le plus flamboyant côtoie le trivial le plus incisif. Histoire complètement folle et tragique, de larmes et de sang, de rire, histoire d’un roi cynique violant la fille cachée de son bouffon, de la vengeance qui s’ensuivit et du malheur engendré par l’amour de la victime pour son bourreau… Où la morale bourgeoise se retrouve cul par dessus tête par un Victor Hugo de trente ans, lequel règle ses comptes avec la Restauration, broyant les idéaux de la révolution de juillet. Cette pièce fut interdite au lendemain de sa création. Et pour cause ! Rien n’échappe à l’auteur qui dénonce le cynisme politique, le mépris du pouvoir en place. Une perte de repère, une crise des valeurs incarné par un roi, François 1er, (Florent Nicoud, impeccable, tout en souplesse), au dessus de toute morale n’ayant pour unique valeur que « son bon plaisir ». Et c’est cette quête effrénée du plaisir au dessus de toute loi, de toute morale, de toute contingence où les figures paternelles sont en faillite qui cristallise le mieux ce que dénonce Victor Hugo. Cela ne vous rappelle rien ?
© Andy Parant
Miroirs
Cet aspect n’a pas échappé à François Rancillac qui magistralement met en scène ce brûlot. Sa mise en scène comme toujours est au plus près du texte et des personnages. La direction d’acteur de haute volée (il faudrait nommer chacun d’eux mais ce qui domine, et cela est rare, c’est leur cohésion, l’esprit de troupe qui manque souvent ailleurs). C’est ébouriffant. Il transforme avec justesse des jeunes loups en paumés désœuvrés, narcissiques et sans repères. Meute de chiots avides soumis à leur maître tout aussi dépravé et complètement insaisissable. Renforcé en cela par la scénographie judicieuse de Raymond Sarti, vaste dancing glacial, ou salle de bordel, encerclé de miroirs où ne cesse de se mirer, de s’observer nos jouvenceaux. Des paravents de glaces comme un palais magique, labyrinthe enfermant les personnages qui n’ont d’autre reflet et horizon qu’eux-même, ils renvoient à Triboulet le bouffon sa laideur, sa monstruosité. Cette monstruosité qui est aussi miroir, miroir terrifiant de nos refoulements.
© Andy Parant
Société du spectacle
Triboulet c’est Denis Lavant. Un corps hurlant, habité de souffrance, démenti cinglant à l’amertume de ses propos. Il donne à son personnage un poids fascinant d’humanité tragique par ses contradictions, enfermé dans un corps qu’il n’a de cesse de vouloir dissimuler mais qui nous saute à la figure tant son reflet est démultiplié. C’est tout le paradoxe, la complexité de ce personnage écorché, désillusionné que Denis Lavant met à nu. François Rancillac souligne combien tous les personnages sont de fait enfermé d‘une façon ou d‘une autre mais également toujours à vue. Blanche (Linda Chaïb, parfaite), la fille de Triboulet, d’abord cloîtrée par son père, se retrouve prisonnière d’une chambre ou François 1er la viole, image terrifiante des paravents se refermant comme un piège, sous les yeux de ses courtisans. Maguelonne (Charlotte Ligneau) officie enclose dans une chambre rouge qui n’est pas sans rappeler les cabines d’Amsterdam. Et jusqu’au spectateurs soudain voyeurs qui se retrouvent projetés sur le plateau lors de la dernière scène. La souffrance de Triboulet face à son infanticide est ainsi jetée en pâture. Ce n’est pas l’artifice du théâtre mais la société du spectacle qui est dénoncée dont François Rancillac avec malignité souligne la contemporanéité. Il distille avec beaucoup d’humour nombre d’objets de notre pauvre mythologie contemporaine bling-bling. Il ne manque plus qu’une Rolex… C’est suffisamment fin et, certes, pas gratuit pour ne jamais choquer.
François Rancillac avec « Le roi s’amuse » redonne au théâtre populaire, et à Victor Hugo, sa pleine dimension politique. Ne boudons surtout pas notre plaisir, en ces temps où l’arrogance de certains domine…
Le Roi s’Amuse
De : Victor Hugo
Mise en scène : François Rancillac
Avec : Alain Carbonnet, Agnès Caudan, Linda Chaïb, Sébastien Coulombel, Vincent Dedienne, Yann de Graval, Denis Lavant, Charlotte Ligneau, Florent Nicoud, Robert Parize, Baptiste Relat, Pierre-Benoist Varoclier
Assistant à la mise en scène : Yanne de Graval
Assistant de production : Agnes Caudan
Scénographie : Raymond Sarti
Costumes : Sabine Siegwalt
Perruques et maquillage : Catherine Saint-Sever
Lumières : Luc Jenny
Son : Simon Desplébin
Régie Générale : Thierry LacroixDu 10 novembre au 12 décembre 2010
Théâtre de L’Aquarium
Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris
www.theatredelaquarium.net