© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Mise en scène et interprétations magistrales et radicales, ainsi peut-on résumer en deux clichés, tant pis assumons, Le Roi Lear monté par Georges Lavaudant, interprété par Jacques Weber dans le rôle-titre auquel il faut adjoindre François Marthouret dans celui de Gloucester, et l’ensemble des interprètes sans exception aucune. Georges Lavaudant empoigne l’œuvre qu’il met à nu, dépiaute jusqu’à l’os, nerf après nerf. Met au jour les mécanismes, les articulations fatales d’une tragédie familiale et politique, les deux étroitement tressés pour le pire. Un monde brutalement hors-de-lui-même, décentré, par l’aveuglement d’un père et la droiture d’une enfant. Au refus du dithyrambe de Cordélia envers son père, affirmant l’aimer simplement comme une fille aime son père, claque la réplique de Lear : « Rien » ; ce « Rien » qui amorce la catastrophe, déflagration emportant et fracturant le royaume, menant à la guerre sororicide, précipitant bientôt Lear dans sa folie. Et c’est à ce « Rien » qui résonne que répond Georges Lavaudant essorant de toute scorie sa mise en scène, épurant, privilégiant le mouvement et les acteurs. Le théâtre-monde de Shakespeare est ici un plateau vide et austère où le texte fleuve se déploie sans nul obstacle, les corps fiévreux se précipitent dans l’urgence et bientôt l’affolement. Circulation des corps, circulation de la parole c’est la même vitesse, la même énergie qui entraîne, s’accélérant avec une remarquable fluidité, chacun jusqu’au vertige et la chute. Jacques Weber est ici en son royaume, jouant de la formidable théâtralité de son personnage que la folie guérit de son histrionisme, assagie et révèle à lui-même. Roi désormais sans royaume et la folie en sautoir, se découvrant nu, Jacques Weber est tout simplement bouleversant d’une humanité retrouvée au seuil de la mort. Et puis il y a François Marthouret, immense lui aussi. Gloucester, père aveuglé par son bâtard avant d’être énuclée, contrepoint de Lear. La scène qui les réunit, l’un aveugle et l’autre fou, à même les planches, vous remue salement les entrailles par son intensité, sa densité, sans effet aucun. Voire leur magnifique et tragique abandon. Deux monstres sacrés, deux acteurs en leur sommet. Georges Lavaudant a tout misé sur les acteurs, des familiers, leur capacité à s’emparer de ce texte et de leur personnage, de porter haut cette mise en scène fulgurante, intemporelle, qui vous emporte, vous aspire. Il faudrait les citer tous, absolument, tant ils sont exemplaires dans leur singularité et tout à la fois leur formidable unité à servir cette œuvre monstre.
© Jean-Louis Fernandez
Le Roi Lear de William Shakespeare
Mie en scène : Georges Lavaudant
Assistante mise en scène : Fani Carenco
Création son : Jean-Louis Imbert
Créateurs lumières : Cristobal Castillo Mora, Georges Lavaudant
Traduction, dramaturgie : Daniel Loyaza
Décors et costumes : Jean-Pierre Vergier
Assistante costumes : Siegrid Petit-Imbert
Maquillages, coiffures et perruques : Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
Maître d’armes : François Rostain
Répétitrice chants : Isabelle Lopez
Régisseur général : Philippe Chef
Régisseur plateau : Yann-Kevin Berger
Cheffe habilleuse : Christine Bazin
Habilleuse : Marion Vincent
Avec Jacques Weber, Astrid Bas, Frédéric Borie, Thomas Durand, Babacar M’Baye Fall, Clovis Fouin-Agoutin, Bénédicte Guilbert, Manuel Le Lièvre, François Marthouret, Laurent Papot, Jose-Antonio Perreira, Grace Seri, Thomas Trigeaud, Thibault Vinçon
Du 3 au 28 novembre 2021 à 19 h
Dimanche 15 h, relâche le lundi
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 bd Saint-Martin
75010 Paris
Réservations :
Théâtre de la Ville 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
Théâtre de la Porte Saint-Martin 01 42 0800 32
Tournée :
7 décembre 2021 : Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul
14 au 21 octobre 2022 : La Criée, Théâtre National de Marseille
5 au 20 novembre 2022 : TNP, Villeurbanne
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