Critiques // « Le Repas des Fauves » d’après Vahé Katcha au Théâtre Michel

« Le Repas des Fauves » d’après Vahé Katcha au Théâtre Michel

Jan 24, 2011 | Un commentaire sur « Le Repas des Fauves » d’après Vahé Katcha au Théâtre Michel

Critique de Rachelle Dhéry

« Cette situation n’est pas vraiment risible, mais je la trouve étonnamment comique », dixit un des protagonistes du « Repas des Fauves ».

On a déjà beaucoup dit et écrit sur cette pièce qui se joue actuellement au Théâtre Michel à Paris. Et pour cause, elle est à l’affiche depuis le 14 septembre 2010 ! Malgré tout, il n’est jamais trop tard pour agir. Et toute appréhension que l’on pourrait ressentir, face aux trop nombreuses déceptions des pièces à succès parisiennes, s’évanouit dès les premières minutes. À la sortie, nous sommes émus, bouleversés et conquis. Autant dire que si vous ne savez pas quoi faire dans les prochains jours, réservez vite vos places. Ne manquez pas ce grand moment de théâtre. Il y en a peu. Que vous soyez culturophobes ou culturophiles, vous ne sortirez pas indemnes, et vous quitterez la salle grandis, tout en ayant passé un moment extrêmement divertissant.

Pour comprendre l’histoire, la scène qui se déroule sous nos yeux prend vie en 1942, dans un appartement bourgeois parisien, sous l’occupation allemande. Sophie, femme enfant crédule, fête son anniversaire, et pour l’occasion, elle et son mari Vincent, un libraire peu téméraire, ont réuni leurs amis, Pierre, militaire revenu aveugle du front, Françoise, la résistante du groupe, Victor, le meilleur ami, Jean-Paul, le docteur lâche et pathétique, Vincent, le professeur de philosophie et dandy fataliste, sans compter l’intrusion d’André, un non invité qui n’hésite pas à faire fructifier sa société en collaborant avec l’ennemi, mais venu avec de nombreuses victuailles dignes d’un vrai repas de fête. Les réjouissances ont commencé, lorsque deux soldats allemands sont abattus sous leurs fenêtres. Quelques SS investissent l’immeuble et ont décidé de riposter face à la multiplication de ces actes “barbares”. Pour un soldat allemand assassiné, ce seront dix innocents pris en otage, autant dire exécutés, et ce, jusqu’à ce que le coupable se dénonce. Il y a dix appartements dans l’immeuble, donc deux habitants par appartements sont embarqués « pour une juste équité ». Un des SS, pourtant client habituel de Vincent, débarque alors au milieu de la soirée, et annonce que deux personnes devront être prises en otage. Il les laisse, puisqu’il les connaît, libres de décider qui partira avec lui et leur accorde deux heures, le temps pour les convives « de poursuivre leur petite sauterie ». C’est ainsi que débute « Le Repas des Fauves ».

Julien Sibre, alias Vincent dans la pièce, en est également le metteur en scène. Il choisit de confronter un réalisme saisissant (costumes, décor, meubles) recréant ainsi l’ambiance légère d’un salon bourgeois sous l’occupation, avec une vision sombre, effrayante, voire cauchemardesque de la réalité d’un pays : dehors, le bombardement, dehors, le sang, dehors, la mort. Tout ce qui se passe hors-champ est alors dévoilé grâce à un film d’animation réalisé par Cyril Drouin, rappelant étonnamment « Valse avec Bachir », film d’Ari Folman, sur une musique originale envoutante d’Hedinski. Le film est projeté sur un écran couvrant tout le fond de scène, intégrant les personnages, malgré eux, dans ce présent glauque et dramatique.

Mais, tragédie comique ou farce tragique, il est impossible de faire son choix. Les rires fusent grâce aux jeux de mots et réparties cinglantes des sept personnages. Ils sont tous différents mais partagent (presque) tous la même vision de cette situation, résumée par cette phrase de Sophie « Je ne veux pas mourir pour les autres, et je ne veux pas que l’on meure pour moi ». Le texte sublime de Vahé Katcha (Damas 1928 – Paris 2003), écrivain et scénariste français d’origine arménienne se veut résolument drôle et moderne et nous plonge efficacement dans ce cauchemar grotesque. Les acteurs s’en sortent avec brio, évitent la grossièreté, et dévoilent des personnages caricaturaux pourtant vraisemblables. C’est toute l’image de cette bourgeoisie des années quarante qui s’effrite, s’émiette et se ridiculise en 1h50. Et c’est d’autant plus savoureux lorsque la pièce est présentée devant la nouvelle bourgeoisie parisienne du XXIème siècle… Le seul petit bémol à cette perfection est le jeu du comédien incarnant l’officier SS, un peu trop nonchalant pour le personnage à incarner, et qui propose un accent allemand, encore trop hésitant.

Huis-clos grinçant à souhait et narquois, « Le repas des fauves » invite le spectateur à se poser cette question « Et moi, que ferais-je à leur place ? », et surtout, à espérer ne jamais se retrouver dans une telle situation.

Le Repas des Fauves
– Molière du théâtre privé, Molière du metteur en scène et adaptateur/traducteur Julien Sibre, 2011 –
D’après : Vahé Katcha
Adaptation et mise en scène : Julien Sibre
Assistante à la mise en scène : Isabelle Brannens
Avec : Julien Sibre, Pierrejean Pagès, Olivier Bouana, Cyril Aubin, Stéphanie Hédin, Pascal Casanova, Jérémy Prévost, Caroline Victoria

Jusqu’au 30 avril 2011

Théâtre Michel
38 rue des Mathurins, 75 008 Paris – Réservations 01 42 65 35 02
www.theatre-michel.com

www.lerepasdesfauves.com

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