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Le prince travesti, de Marivaux, mise en scène d’Yves Beaunesne, en tournée

Déc 10, 2018 | Commentaires fermés sur Le prince travesti, de Marivaux, mise en scène d’Yves Beaunesne, en tournée

© Guy Delahaye

ƒ article de Denis Sanglard

Marivaux ou les jeux de l’amour et du pouvoir. Qui donc est Lélio, derrière lequel se cache le prince de Léon, amoureux et aimé d’Hortense, qu’il sauva jadis encore mariée, aujourd’hui veuve, et de la princesse de Barcelone auprès de laquelle il est entré en service au grand dam de Frédéric, ministre d’icelle, convoitant le poste de premier ministre promis à Lélio en qui il voit son rival ? Amour, pouvoir, corruption, argent… Au centre du palais, où tout finit par se savoir, nul secret, les intrigues se font et se défont en fonction des intérêts amoureux ou politiques, les deux parfois liés. Les sentiments pendulent, basculent, l’argent circule. Arlequin serviteur d’un seul maître, son intérêt, vibrionne, partagé entre l’honnêteté et la trahison et trahit avec honneur pour sauver ses bénéfices. Après avoir perdu la bataille contre Lélio et Hortense, la princesse de Barcelone épousera le roi de Castille venu en ambassadeur, et déguisé comme tel, demander sa main et la paix entre leurs deux pays. Une guerre de gagnée pour la princesse, la seule, diplomatique, qui la voit se sacrifier au politique. Marivaux tout à son affaire écoute les battements affolés des cœurs amoureux empêchés, les contradictions des amours contrariés qui n’en peuvent mais. A ces questions-là dont il est le maître incontesté, ici il ajoute le politique. Or donc ce pourrait être une tragédie, l’amour sacrifié à la raison d’état, c’est au final une œuvre biface qui oscille entre drame et comédie comme oscillent vertigineusement les sentiments acculés aux choix qui détermineront l’avenir de ceux qui en sont les victimes. Au final deux résolutions : au drame (relatif) la princesse, à la comédie Lélio – prince de Léon – et Hortense. Drôle de comédie ou drôle de drame où tout est bien qui finit à peu près bien et non sans douleurs. Marivaux coupe ainsi la poire en deux, l’amour ne souffrant aucune concession. Et cette langue du dix-huitième siècle portée à son acmé pour dérouler le fil délicat et tendu des amours empêchées. Un verbe qui se fait caresse et cravache, exprime le désir ardent et le dépit latent. Marivaux délabyrinthe avec finesse l’écheveau des sentiments désorientés, perdus dans les dédales de la passion insoumise à la raison. Avouons-le… Avouons-le avec tristesse que nous sommes quelque peu déçu par la mise en scène d’Yves Beaunesne que nous ne reconnaissons pas dans cette nouvelle création, qui semble avoir été sinon tétanisé du moins embarrassé par cet ouvrage singulier. Panne d’inspiration ? Là nous nous recherchons en vain ce qui d’ordinaire fait sa force et son charme : sa délicate pesée des âmes et sa juste sagacité. La lecture toujours pertinente et juste des œuvres qu’il défend débusquant ses enjeux profonds et humains. Etrange soudain de voir une telle œuvre comme lui filer entre les doigts… Tout reste littéral, on cherche en vain un point de vue, un angle d’attaque. Sans être insensible, rien qui ne vous agrippe, ne vous happe. Les acteurs sont tenus, certes, dirigé au mieux mais sans éclat. Jean-Claude Drouot est toujours aussi impérial. Thomas Condamine est un arlequin remarquable, inventif, bondissant et madré. Mais il ne suffit pas à sauver l’ensemble qui bute contre l’impuissance d’Yves Beaunesne à enfoncer un coin pour s’imposer et imposer une mise en scène qui patine dans ce vaste décor presque vide, antichambre du pouvoir que domine un grand escalier. Tout, y compris les costumes, est gris, marron, noir, beige. En demi-teinte… Sans vouloir pastelliser Marivaux, cliché classique ou syndrome Watteau, on se dit que c’est bien tristouille. Et de temps à autre entre deux scènes et les ponctuant, ça chante, fort bien au demeurant, des chansons d’amours italiennes. Charmant mais cela n’apporte à vrai dire rien sinon à freiner brutalement un rythme qui hoquète au grès des sentiments et des alliances. Ce n’est pas raté, non, c’est un bon spectacle et rien de plus. Mais c’est un rendez-vous manqué…

 

© Guy Delahaye

 

Le prince travesti de Marivaux

Mise en scène Yves beaunesne

Avec Marine Sylf, Elsa Guedj, Nicolas Avinée, Jean-Claude Drouot, Thomas Condemine, Johanna Bonnet, Pierre Ostaya-Magnin, Valentin Lambert

Dramaturgie Marion Bernède

Assistanat à la mise en scène Marie Clavaguera-Pratx et Thophyle Guilhem-Guery

Scénographie Damien Caille-Perret

Lumières Joël Hourbeigt

Composition musicale Camille Rocailleux

Costumes Jen-Daniel Vuillermoz

Maquillages Kuno Schlegelmilch

 

Île de France

10 janvier 2019 Centre des Bords de Marne / Le Perreux-sur-Marne

du 23 janvier au 1er février 2019 Scène Nationale 71 / Malakoff

du 6 au 10 février 2019 Théâtre Montansier / Versailles

Région

15 janvier 2019 Scènes du Golfe / Vannes

26 février 2019 Scène Nationale 61 / Alençon

21 Mars 2019 Théâtre Jacques Cœur / Lattes

28 et 29 mars 2019 Grand Théâtre / Calais

4 avril 2019 Maison de la Culture Nevers Agglomération / Nevers

 

 

 

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