© Marie Charbonnier
ff article de Denis Sanglard
Tu seras un homme mon fils ou la fabrique du mâle… Mickaël Délis s’inspirant sans se cacher du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, de sa propre enfance et adolescence, de sa vie d’adulte aussi, remonte aux sources d’une éducation qui oblige, répondant à l’injonction masculiniste et patriarcale. Notre personnage s’y plierait volontiers sauf que petit gros binoclard qu’il était, pris souvent pour une fille, au contraire de son jumeau en passe d’être un mâle alpha, rien ne se passe vraiment comme il se doit. On a beau s’évertuer, dans une ignorance absolue des choses de la vie et du sexe en particulier, à faire innocemment comme si et répondre aux sollicitations salaces de ses camarades, à se défendre de leurs coups de butoir homophobes, à surenchérir une virilité aux abonnées absentes, à draguer (ou tenter de) les plus belles filles de son école n’ayant, elles, d’yeux que pour le frangin gémellaire, rien n’y fait. Quelque chose cloche qui ressemble au déni que seule une mère, toujours dépressive et misandre, pressent, ravie d’avoir un fils homosexuel « pour ne pas être seule à Noël » … Et quand vient l’épiphanie, la révélation d’une sexualité à rebours de la norme, reproduire en bon macho l’unique schéma connu avec son partenaire et amant… puis vint enfin le temps de la déconstruction de ces préjugés culturels, l’émancipation de cette virilité abusive (comme le chante si bien Eddy de Pretto) pour une masculinité singulière et libre –espérons-le- de toutes injonctions.
Mickaël Délis démonte avec humour les rouages d’une éducation viriliste toxique, s’appuyant sur son expérience et son entourage. Sa mère, omniprésente, assénant ses vérités entre lithium et cigare, sans tabou et se foutant, déjà, du genre comme de l’an quarante, lucide sur l’orientation (future) de son fils et laissant faire, ou presque, poussant même à la roue. Un père absent, effrayé par ses fils et de sa propre virilité en déroute. La cohorte des camarades de classe, garçons pubères aux hormones en folie et jeunes filles en fleurs qu’il faut séduire impérativement pour se prouver à soi et surtout aux autres que. Son psy, indécrottablement psy. Ses ex, malmené car il n’y a pire bourreau qu’une victime… Pour un condensé d’une vie bousculée par des impératifs de genre reproduisant ad libitum et jusque l’absurde un patriarcat toujours aux abois, pour reproduire le bon mâle et séparer le bon grain de l’ivraie. Mickaël Délis délabyrinthe et dénonce tout ce fatras masculiniste, ce male gaze oppressif. C’est un récit couillu, oui, bourré d’humour et d’autodérision, où s’exprime l’inquiétude de l’enfance, l’affolement de l’adolescence, et l’appréhension d’être adulte, ce territoire inconnu et effrayant. Cette traversée tempétueuse et à vue est un parcours de combattant, entre déni et révélation, pour enfin être soi, dans sa singularité, loin de ce qui était attendu, sauf de sa mère. Mais être gay n’échappe pas non plus à la reproduction inconsciente du schéma éducatif et en cela Mickaël Délis n’hésite pas à faire de la communauté homosexuelle, à l’heure de Grindr, une critique pertinente.
Seul sur ce plateau, vibrionnant, tout feu tout flamme, incarnant tout à tour chacun et chacune qui l’accompagnèrent sur ce chemin de Damas, Mickaël Délis déroule son récit, fort bien écrit et argumenté, un sens de la formule qui fait mouche, de la réplique qui tue, avec pour unique accessoire un tabouret, une étole…et un trapèze. Ce dernier pour la métaphore où s’envoyer en l’air n’est pas ici un vain mot. Voire même l’alpha et l’oméga obligé de tout porteur de testicules. C’est un peu caricatural parfois mais qu’importe, Mickaël Délis met tant de conviction et d’énergie à défendre cette partition qui, partant de son expérience personnelle, évite cependant l’écueil de l’entre-soi communautaire. Ce qu’il dit là sur ce petit plateau n’est que l’expression d’un malaise plus général, une remise en question profonde, à l’heure où #metoo redistribue les cartes et remet les pendules à l’heure. Que Mickaël Délis soit homosexuel importe peu, c’est ce parcours imposé dès l’enfance par la société pour en faire un homme, un vrai, de ses conséquences brutales envers eux-mêmes, envers lui, comme envers les femmes, qui ici est mis en exergue. En cela toute la population mâle, hétéro comme homo, est concernée. Alors oui, c’est drôle, sans pathos inutile, même si derrière le rire provoqué par chaque anecdote (mais où est la vérité dans cette reconstruction ?) perce une souffrance, une douleur face à la violence d’impératifs sociétaux que l’affirmation de soi, dans sa vérité intime, répare non sans heurt. Le premier sexe, récit d’une quête identitaire, est avant tout une histoire de résilience.
© Marie Charbonnier
Le premier sexe, ou la grosse arnaque de la virilité, de Mickaël Délis
Mise en scène : Mickaël Délis et Vladimir Perrin
Avec : Mickaël Délis
Collaboration artistique : Elisa Erka, Clément Le Disquay et Elise Roth
Collaboration à l’écriture : Chloé Larouchi
Lumières : Jago Axworthy
Jusqu’au 30 mars 2025
La scala
13 bd de Strasbourg
75010 Paris
Réservations : 01 40 03 44 30
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