ƒ article d’Anna Grahm
Assis chacun à un bout du banc, grand fille et petite monsieur. Lui est froid, immobile, l’œil éteint, elle est à moitié morte de froid, agitée, et a l’air complètement allumée. Pourtant, le monsieur dans son costume droit comme un i qui regarde devant lui a bien du mal à ignorer la fille toute freluquette, dans son débardeur, grelottante et transie qui le dévisage avec insistance, qui se rapproche de lui, le dévore des yeux et le colle et le supplie de l’emmener avec lui.
C’est une rencontre improbable mais salutaire. C’est un chassé croisé, c’est un voyage, un combat, une confrontation de soi à soi. Et même si l’homme aux boucles d’oreilles semble avoir le cœur bien aride et le verbe rare, il finit par céder aux vœux de la gamine, il accède aux appels désespérés de l’enfant qui prétend être abandonnée. Mais à une condition : qu’elle se contente d’une place à sa taille car le monsieur revêche n’a pas l’intention, pas l’habitude d’être dérangé.
Etrange cohabitation de deux êtres délaissés. D’une mioche et d’un amoché de la vie qui vont tenter de s’apprivoiser. Qui sont soulagés de s’être trouvés. Enfin retrouvés.
Léonore Confino explore le langage intérieur, plonge ses personnages dans un monde onirique, fait remonter les secrets, les mensonges, les oublis, les pousse à chercher la vérité de leurs identités enfouies, refoulées. Qui sont-ils vraiment. Sont-ils ce qu’ils étaient. Ont-ils été ce qu’ils auraient voulu être. L’écriture gratte les blessures, met à jour les injonctions parentales et sociales, ce qu’il était bon de montrer, les moyens qu’il a fallu déployer pour échapper au jugement.
La mise en scène de Catherine Schaub dessine ces zones grises où les repères naviguent entre deux eaux, où quelques bribes de réel s’invitent puis s’effacent, où des fantasmes et des fantasmagories émergent, où tout se transforme en frayeur tout le temps. Il y a ici une volonté de brouiller les codes établis, de sortir des conventions, du rassurant. Ainsi tangue le décor, toujours flottant, tout aussi indécis que les choix de petite monsieur – qui pour exister un peu a du en étouffer beaucoup d’autres -, qui a tant voulu faire croire qu’il s’est replié sur lui-même.
Merveilleuse Géraldine Martineau, hallucinante actrice, toute déliée, effrontée farfadet, enfant terrible, qui se tortille et s’entortille comme un poisson dans l’eau, qui se faufile dans les failles du carcan du monsieur pour l’aider à respirer, sa folle obstination réussira à le sauver. Fébrile abandon du très viril Marc Lavoine qui campe un phobique coincé entre deux âges, précieux et désorienté mais qui finira, parce qu’il fera une place à la légèreté, par se réconcilier avec lui-même. L’acteur tente ici une expérience théâtrale exigeante, inédite, surréaliste et pleine de poésie.
Le poisson belge
Texte Léonore Confino
Mise en scène Catherine Schaub
Collaboratrice artistique à la mise en scène Agnès Harel
Scénographie Marius Strasser
Lumière Jean-Marie Prouvèze
Costume Julia Allegre et Rachel Quarmby
Musique Aldo Gilbert et R. Jerichoavec Marc Lavoine et Géraldine Martineau
Théâtre de la Pépinière
7, rue Louis Legrand – 75002 ParisA partir du 23 septembre 2015
Du mardi au samedi 21h
En matinée le samedi à 16hRéservations 01 42 61 44 16
www.theatrelapepiniere.com
comment closed