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Le Pays de Nod, création de FC Bergman, à La Villette

Mai 22, 2017 | Commentaires fermés sur Le Pays de Nod, création de FC Bergman, à La Villette

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Kurt Von der Elst

D’abord il y a cette surprise et cet émerveillement d’entrer de plain-pied dans le décor, la salle des Rubens du musée des Beaux-arts d’Anvers. D’être immergé dans ce vaste lieu en travaux, vidé de ces toiles sauf une, monumentale, Le Coup de lance, auprès de laquelle sont affairés quelques personnages qui ne se soucient guère de nous, visiteurs d’un soir. Un lieu qui devient l’acteur et l’enjeu de cette création désopilante, poétique et tragique. Un espace emblématique épousant les soubresauts de l’Histoire, perméable au temps qui passe, aux saisons, qui vit, vibre, résiste aussi, et meurt. Un lieu de silence et de recueillement où on ne parle guère, on y chuchote – quelques borborygmes incompréhensibles – où s’engouffre le monde, avec fracas parfois, où tout peut basculer : les hommes s’y déshabiller, les jeunes filles s’y pâmer (syndrome de Stendhal ?) et d’émotion uriner devant la toile, pratiquer le ballet aquatique, courir comme des dératés en hommage à Godard (et son film Bande à part), s’y battre comme des chiffonniers, s’y ébattre… On y voit même passer, sans doute la seule chose normale, des touristes japonais. On ne s’étonne de rien, embarqués que nous sommes dans cette atmosphère farfelue, pas même de ces deux gardiens impavides et quasi muets, attentifs et diligents qui sèchent avec célérité vos vêtements et vous les rendent parfaitement pliés ne s’étonnant guère de vous voir dans le plus simple appareil, nu comme un antique. De celui-là, de gardien, qui pieds nus sur le plancher auparavant ciré avec grande attention par ses soins improvise quelques pas de danses, ballet impromptu et désopilant de maladresse. Pas même de ce conservateur opiniâtre et gauche qui tente par tous les moyens, et de plus en plus radicaux et hilarants, de sortir de la salle ce tableau si grand qu’il ne passe pas par la porte (ici, la réalité rejoint la fiction, l’anecdote est vraie) et parviendra, à quel prix, avec quelle obstination, à ses fins, et de quelle façon !, dans un musée bientôt éventré, jonché de gravats et de cadavres où le plafond s’effondre et la pluie pisse dru, devenu camp pour réfugiés hagards et perdus. C’est tout le génie de ce collectif de créer des situations parfaitement loufoques, burlesques et ô combien drôlissimes d’incongruité, et de les faire basculer soudain sans crier gare dans la tragédie. Ce havre de paix n’est qu’illusoire, provisoire,  le monde et son actualité foutraque entre toujours sans toquer. Mais la culture résiste à tout, même à la destruction. Peut-être est-ce même ce qui nous survit. Sublime et dernière image dans ce lieu définitivement ravagé par la folie des hommes où la mémoire des toiles enlevées se rappelle encore à vous comme résolument indélébiles. C’est tout simplement bouleversant. Les images sont réversibles, toujours, et c’est toute la force de cette création. Et formidables d’inventions, de mystère, de poésie, de dinguerie et de troubles. Un parquet jonché de couverture et l’on songe à tous les réfugiés, aux migrants mais il suffit que deux amoureux s’y allongent et nagent en un ballet aquatique d’une grande sensualité pour métamorphoser le lieu en un océan au calme trompeur, celui qui précède les tempêtes et qui verra s’échouer sur le parquet quelques noyés. C’est cette faculté-là, de filer les métamorphoses, de les emboîter ou les retourner, qui force l’admiration. De passer du coq à l’âne avec un esprit d’escalier suffisamment tordu pour que l’on accepte ce qui advient et de rire devant tant de folie et de tragédie. Une liberté d’invention dans le burlesque, on songe à Jacques Tati mais aussi à Pierre Etaix pour la mélancolie, cent pour cent belge par ce concentré d’absurde et de surréalisme devant le tragique de nos destins. Pas pour rien non plus que le tableau récalcitrant, si encombrant,  ai comme thème le coup de lance de saint Longin qui achève le Christ. Le collectif FC Bergman porte lui aussi, par cette création déjantée et folle, l’estocade, le coup de grâce devant nos prétentions obtuses, nos destins riquiqui et sublimes tout à la fois pour qui ne renonce pas – on pense à ce conservateur buté – pourtant si fragile pour basculer sèchement et sans coup férir.

 

Le Pays de Nod création de FC Bergman
Conception son  FC Bergman e.c.a Diedrick de Cok
Conception décors  FC Bergman e.c.a Ken Hioco

Avec Stef Aerts, Joé Agemans, Bart Hollander, Matteo Simoni, Rik Verheye, Efrat Galat et Geert Goosens, Taca Schimzu, Yuka Dupletx-Nakanishi
Du 16 au 20 mai 2016 à 20h30

La Villette-Grande Halle
211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris
Réservations 01 40 03 75 75
www.lavillette.com Tournée : du 22 au 25 mai Théâtre de Cornouaille, Quimper

 

 

 

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