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Le passé, d’après Léonid Andreïev, adaptation et mise en scène de Julien Gosselin, au Théâtre de l’Odéon avec le Festival d’Automne

Déc 06, 2021 | Commentaires fermés sur Le passé, d’après Léonid Andreïev, adaptation et mise en scène de Julien Gosselin, au Théâtre de l’Odéon avec le Festival d’Automne

 

© Simon Gosselin

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Un accès de folie, des coups de feu. La cible est ratée, mais l’irréparable a eu lieu. C’est aussi une sorte de coup de force que commet là le dramaturge russe Léonid Andreïev, fracassant sans aucune exposition préalable, sans raison véritable, le couple formé par le député Gueorgi Dimitrievitch et son épouse Ekaterina Ivanovna. La pièce se coulera dans la déflagration de ces coups de feu comme si de ce coup de dés dramaturgique originel rien d’autre ne pouvait découler que l’effondrement dans cette société russe du début du XXème siècle.

D’un acte complètement gratuit — l’accusation infondée d’adultère portée par le mari envers sa femme —, résulte une chaîne d’événements relativement prévisibles, comme si l’accusation initiale avait valeur de prophétie auto-réalisatrice dans le naufrage qu’elle annonce et amorce. Ce premier acte, comme l’ensemble de la pièce, et à son habitude pour les productions de Julien Gosselin, est entièrement filmé dans les méandres d’un appartement dont s’ouvre sur l’avant-scène un salon avec cheminée. Les poursuites dans les couloirs, les pièces aperçues dans l’enfilade des encadrements de porte, la caméra fiévreuse, et nous voilà transporté dans le Leto de Kirill Serebrennikov, sauf le rock. C’est virtuose et c’est une sorte de grand coup d’assommoir, la dramaturgie ayant en permanence plusieurs coups d’avance sur nous dans cette ouverture.

Ekatérina Ivanovna, c’est le titre de la pièce de Léonid Andreïev, construite autour d’une femme faussement accusée, dépossédée de sa dignité, et qui de cette non-faute originelle se détruira, ira à sa perte, comme Duras pouvait dire :« Que le monde aille à sa perte ! » avec fracas. On ne peut qu’être saisi par ce portrait qui condense à la fois les représentations stéréotypées de son époque : hystérique, sorcière, débauchée, mystérieuse, mais aussi par le truchement de la caméra de Julien Gosselin, celles d’une époque plus récente, dans une résonance certaine avec l’œuvre de Zulawski (L’important c’est d’aimer), ou avec certains films d’Isabelle Adjani. Cette résonance plus récente est plus que probablement aiguisée par l’explicitation dans la mise en scène de motifs sexuels à la manière des années 1970 et 1980 (ce qui d’ailleurs lui vaut d’être déconseillé aux moins de 15 ans).

Dans le dispositif proposé par Julien Gosselin, l’intérieur (appartement, maison) nous est que très partiellement visible, à la dérobée dirons-nous, sauf par ce qu’il nous en est donné à voir par la caméra qui filme. Le procédé est aujourd’hui on ne peut plus « classique ». La question est de saisir ce que ce dispositif constitue avec ce texte qui traite de la vie et de la mort d’une femme qu’on a voulu tuer (une suicidée de la société pour reprendre les termes habituellement associés à Van Gogh). Le passé fait parler une vivante comme une morte (« j’étais comme morte »), dans une sorte d’indétermination sensible qui semble encore plus ambiguë par ce dispositif de boîte qui n’est pas sans rappeler l’expérience du chat de Schrödinger, pour laquelle le physicien concluait que tant que l’on n’ouvrait pas la boîte pour y voir de plus près le chat était à la fois vivant et mort, le chat était un mélange des deux. Il y a indubitablement quelque chose de cette étrangeté dans le personnage de Ekaterina Ivanovna, comme s’il était perceptible que le dramaturge avait in extremis dévié le coup de feu pour mieux la conserver morte dans son imagination et dans la nôtre.

La découverte de ce texte ne serait rien sans la découverte de l’actrice qui endosse le rôle éponyme de la pièce de Léonid Andreïev : Victoria Quesnel. Il m’est très rare de citer un acteur ou une actrice mais sa performance est d’une générosité et d’une force si rares : sa présence troublante recompose l’espace, suspend les temps, dompte la caméra alors que cette même caméra asservit habituellement les corps. On n’ose imaginer ce que serait un tel projet sans elle, portant l’ensemble de la distribution à la manière d’une liberté guidant le peuple.

Le Passé est le projet de Julien Gosselin qui, après avoir monté plusieurs textes romanesques d’auteurs contemporains (Don DeLillo, étant le dernier) qui avaient tous la particularité de parler d’un avenir fantasmé à partir de notre présent, souhaitait inverser son regard, en se retournant vers des textes du passé. Avec la volonté de ne pas actualiser le regard qui serait porté dessus. Tentative illusoire ? En partie. Et pour le reste, on sort du Théâtre de l’Odéon avec le sentiment étrange d’avoir converser avec des âmes mortes.

 

© Simon Gosselin

 

 

Le passé, d’après Léonid Andreïev, adaptation et mise en scène de Julien Gosselin

Traduction : André Markowicz

Avec : Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Victoria Quesnel, Achille Reggiani, Maxence Vandevelde

Dramaturgie : Eddy d’Aranjo

Scénographie : Lisetta Buccellato

Musique : Guillaume Bachelé, Maxence Vandevelde

Lumière : Nicolas Joubert

Vidéo : Jérémie Bernaert, Pierre Martin

Création sonore : Julien Feryn avec Hugo Hamman

Costumes : Caroline Tavernier avec Valérie Simonneau

Accessoires : Guillaume Lepert

Masques : Lisetta Buccellato, Salomé Vandendriessche

Assistant à la mise en scène : Antoine Hespel

 

 

Du 2 au 19 décembre 2021

Du mardi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h, relâche le mardi 7 décembre

Ce spectacle est déconseillé aux spectateurs de moins de 15 ans.

Durée 4 h 30 (2 h 15 / entracte / 1 h 45)

 

 

Théâtre de l’Odéon

Place de l’Odéon, 75006 Paris

Tél : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

En tournée :

Châlons-sur-Saône | Espace des Arts | Du 14 au 15 janvier 2022

Valenciennes | Le Phénix Scène Nationale | Du 28 au 29 janvier 2022

Amiens | Maison de la culture d’Amiens | Du 23 au 24 février 2022

Brive La Gaillarde | L’Empreinte | Du 31 mars au 1er avril 2022

Albi | Scène nationale d’Albi | Du 14 au 15 avril 2022

Annemasse | Château Rouge, Comédie de Genève| Du 11 au 12 mai 2022

Lyon | Les Célestins, Théâtre de Lyon, TNP de Villeurbanne | Du 20 au 25 mai 2022

 

 

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