© Simon Gosselin
fff article de Denis Sanglard
C’est une épopée, une geste théâtrale contemporaine de la plus belle eau vive. Un théâtre comme on en rêve, un théâtre de résistance qui affirme avec éclat combien si nous oublions Homère, Sophocle et Shakespeare, le monde peut être livré au chaos. Parce que le théâtre, lieu de mémoire, est ce point de rencontre unique et précieux, vitale, entre la fable et la réalité, que les deux réunis précisément en ce lieu poreux, devant un public, même clairsemé, à ce pouvoir unique et fragile d’éclairer et d’enchanter le monde. Supprimer le théâtre, la poésie et il n’y a plus rien entre le pouvoir et le citoyen, rien que des cendres et de la tyrannie. Rien qui rappelle notre humanité.
C’est tout ça et bien plus que Simon Falguières raconte, une histoire de moitiés de pomme séparées, l’histoire de la Princesse Anne en son royaume de conte soudain désenchanté et de Gabriel en son théâtre ambulant dans un monde dévasté. La rencontre de ces deux-là qui se cherchent, au-delà des mers et des landes brûlées, cette odyssée pour trouver en l’autre le salut, réunir à nouveau ces deux moitiés d’un fruit qui signerait la réparation, le réenchantement du monde pour que s’élève à nouveau le chant des poètes. Seulement rien n’est jamais simple, ni dans les contes et ni dans la réalité, le vers peut être dans le fruit, le diable vous mordre salement la main et tout serait à recommencer. Mais il suffit d’un enfant au nom prédestiné, Auguste, pour croire encore au si magique et suspendre pour un temps la tragédie à venir.
Simon Falguières enchâsse dans cette fresque insensée où souffle un vent de folie, où le tragique le dispute à la comédie, sept récits traversés d’une reine endormie et d’un roi devenu fou, de princes noyés, d’un enfant abandonné, de deux frères déchirés, de comédiens itinérants, d’un président de la république devenue cartomancienne, d’un « paletusier bleu », du diable et d’un comptable…
© Simon Gosselin
C’est un récit foisonnant, théâtral en diable et superbement écrit, qui ne nous perd jamais en chemin, nous prend fermement par la main, le cœur et ne nous lâche plus. Cette roulotte d’Argan cahotant sur les routes de cette épopée, c’est le chariot de Thespis, c’est l’Illustre Théâtre de Molière sur les routes de Provence, où résonne le fracas assourdissant du monde, se joue l’inquiétude pâle des bouleversements contemporains, et la volonté crâne de résister vaille que vaille. Il s’en dit des chose ici, essentielles toutes, l’air de rien, une vision du monde tel qu’il va, menacé sous les coups de boutoir d’un populisme absolu, pas même rampant, où les maisons de la culture ici ne sont plus bientôt que des maisons de foires, les théâtre laissés en déshérence, menacés de ruine et d’incendie criminel. Et prenons garde à nos utopies, même les plus belles, même au théâtre, qui se muent parfois en tyrannie…
Et la mise en scène est à la hauteur de cette magie, de ce récit. C’est un théâtre en train de se faire, là, sous nos yeux. Changement de décors à vue pour cartographier les espaces imaginaires à parcourir, adresses au public… Sans tricher, sans volonté autre que de nous y faire croire, retrouver ce goût du jeu et de l’illusion, ne dénonçant rien que nous ne savons déjà. Montrer l’envers et l’endroit, de jardin à cour, affirmer la théâtralité, ses codes, en jouer sciemment pour en extraire toute le suc et nous embarquer fissa avec eux, dans un même élan volontaire. Avec trois fois rien ou presque qui en fait toute sa valeur et sa beauté, sa fragilité et sa force. Il n’y a rien et dans ce rien s’engouffre l’essentiel, l’imagination portée par une écriture, une poétique singulière et cette mise en scène virtuose et vibrionnante. Qui n’hésite pas, en hommage puisqu’il s’agit aussi de ça, à arrimer son récit à l’histoire même du théâtre, l’inscrire dans une continuité, par un jeu de citation, à commencer par le nom de certains personnages, Argan, Bélise, Psyché, Dorine… Pas de temps mort donc, mais un récit qui avance comme un mascaret, une vague irrésistible qui se gonfle, porté par des comédiens habités par leur rôles, étoffes de songe taillées sur mesure pour eux. Une troupe soudée qui nous offre le meilleur, l’excellence. Ils sont 18 pour 56 rôles, pas moins. Mais ne parlons pas ici de performance, ils sont au-delà de ça. Ils sont dans l’élan du partage, la générosité du don, habile aux changements de registre, passant du conte burlesque à la noirceur tragique du réel, sans heurt ni déchirure. On y croit ferme et mordicus à ce qui nous est raconté. On le voit, oui, ce paletusier bleu qui hante les mers ! Voilà, c’est du théâtre populaire, du vrai, ce qui n’est pas un gros mot, terme trop longtemps et souvent frelaté et vidé de son sens mais à qui Simon Falguière redonne tout son éclat et sa vitalité.
© Simon Gosselin
Le nid de cendres, texte et mise en scène de Simon Falguière
Avec John Arnold, Layla Boudjenah, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frédéric Dockès, Elise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar
Collaboration artistique : Julie Peigné
Assistant à la mise en scène : Ludovic Lacroix
Scénographie : Emmanuel Clolus
Création lumières : Léandre Gans
Création sonore : Valentin Portron
Création costumes : Clotilde Lerendu, Lucile Charvet
Accessoiriste : Alice Delarue, Pauline Lefeuvre
Régie générale : Clémentine Bollée, Morgane Bullet
Régie Plateau : Guillaume Rollinde, Nicolas Gérard
Régie son : Charlotte Notter, Simon d’Anselme de Puisaye
Régie lumière : Léandre gans, Thomas Mousseau Fernandez
Habillage : Lucile Charvet, Léa Bordin
Tamburiste : Mohammad Mostafa Heydarian
Instrimentarium Baschet : Olivier Kelchtermans
Du 11 au 14 mai 2023
Jeudi, vendredi, mardi à 19h30
Samedi à 18h
Dimanche à 15h
Durée 3h30
Le 18 et le 20 mai 2023 à 11H
Intégrale
Durée, entractes comprises, 11H
Théâtre Amandiers-Nanterre
7 av. Pablo Picasso
92022 Nanterre
Réservations : 01 46 14 70 00
Tournée :
Samedi 3 juin 2023, intégrale, Théâtre de la Cité / Toulouse
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