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Le Musée, de Bashar Murkus, Chapelle des pénitents blancs, Festival d’Avignon (In)

Juil 30, 2021 | Commentaires fermés sur Le Musée, de Bashar Murkus, Chapelle des pénitents blancs, Festival d’Avignon (In)

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Deux hommes se font face. L’un derrière une caméra pose des questions, l’autre filmé y répond, parfois et même souvent à côté, tout en hochant de la tête sans interruption.

Le premier est chargé de l’enquête, le second un terroriste. Il a perpétré un attentat faisant cinquante victimes dans un musée. Plus l’entretien avance, plus l’étrange se met en place. Les réponses du terroriste se font rapidement étonnantes puis révoltantes. Bashar Murkus provoque directement les spectateurs. Il ne les place pas seulement comme témoins, mais les impliquent peu à peu. Combien de temps pourront-ils écouter de telles atrocités ? Combien d’entre eux vont quitter la jolie salle du XIVème siècle de la Chapelle des pénitents blancs après avoir entendu que le terroriste regrette de ne pas avoir signé de son nom la toile sur laquelle il a fait exploser la tête de l’enseignante qui avait tenté de le stopper. Aucun, en tout cas lors de la dernière représentation du 25 juillet, la majorité ayant sans doute compris le combat intérieur provoqué par la manipulation qui s’organise sur scène entre deux êtres dont les rôles de victime et bourreau tendent à s’inverser.

Le Musée exerce une fascination incontestable, suscite l’envie irrationnelle de comprendre les motivations d’un acte dément. Les surprises distillées par l’auteur et metteur en scène tiennent le public en haleine. Un vrai thriller psychologico-politique se met en place dans un crescendo de violence qui avait été annoncé à l’entrée de la salle (scènes de nudité, de sexe, de violence explicite et lumières stroboscopiques) et de manière plus classique et moins explicite sur la feuille de salle (« Des scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité de certains spectateurs »). Ces dernières ont en réalité plutôt pour effet de détendre le public opérant de curieuses respirations, bien que toujours dans l’intensité, notamment du fait de l’accompagnement musical d’une house puissante, précédées par de courts passages cocasses. La mise en scène est d’ailleurs extrêmement réussie, moins pour l’utilisation de l’image vidéo désormais si courante (bien qu’elle ait une vraie justification ici par rapport à l’idée de faire de la mort une mise en scène et d’insérer donc une forme de méta-théâtralité) que pour la dynamique d’ensemble qui fonctionne également parfaitement grâce à l’implication des deux comédiens qui incarnent leurs rôles de manière saisissante. On sera seulement réservée sur l’utilisation de l’air de Casta Diva, dont on ne comprend pas le sens ici, le tiraillement de Norma entre son amour charnel et maternel pouvant difficilement être transposé dans la démonstration de Bashar Murkus.

Mais l’essentiel n’est pas là. Si l’auteur-metteur en scène constate dans sa note d’intention que le terrorisme pose un problème de définition, il ne prétend pas pour autant faire un travail sur le terrorisme en tant que tel, mais plutôt s’interroger sur la violence, qui n’est pas seulement la violence terroriste, en s’inspirant du concept de banalité du mal de Arendt. Il n’est pas certain que Le Musée puisse donner une illustration de ce concept. En revanche, il nous semble, même si Bashar Murkus ne le revendique pas, qu’il reprend le flambeau des intellectuels abolitionnistes, et en particulier Camus qui est de ceux qui a le mieux théorisé la violence d’Etat dans ses Réflexions sur la guillotine, puis approfondi avec Aerthur Koestler. Comment admettre le meurtre légal ? Comment un Etat qui exerce un droit de mort et le met en scène, peut-il prétendre, en s’appuyant sur la loi, en se revendiquant comme Etat de droit, se placer au-dessus de l’individu criminel ?

Le message est incontestablement universel. Le fait que l’auteur-metteur en scène soit palestinien a peu d’importance. Il ne situe ni dans le temps ni dans l’espace son spectacle qui certes a été créé en novembre 2019 au Khashabi Theatre de Haïfa, mais continuera à délivrer son message dans une tournée internationale le menant des Pays-Bas à la Russie, en passant la Suisse et Montpellier, où il suscitera peut-être en ces lieux divers les mêmes questionnements. C’est en tout cas tout ce que l’on peut lui souhaiter.

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Le Musée de Bashar Murkus

Avec : Henry Andrawes, Ramzi Maqdisi

Texte et mise en scène de Bashar Murkus

Dramaturgie : Khulood Basel

Co-chercheur : Majd Kayyal

Musique : Nihad Awidat

Scénographie : Majdala Khoury

Lumière et direction technique : Muaz Aljubeh

Assistanat à la mise en scène : Samera Kadry

 

Durée 1 h 50

 

Spectacle en arabe, surtitré en français et en anglais

Vu le 25 juillet 2021

 

 

Festival d’Avignon – In

Chapelle des pénitents blancs

 

www.festival-avignon.com

 

 

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