© Michel Corbou
ƒƒ article de Corinne François-Denève
Qui est Alceste ? Un atrabilaire amoureux ? Un sociopathe à tenir à l’écart d’une société qui, pour fonctionner, doit porter un masque hypocrite ? Un être ridicule et inadapté ? Pour Alain Françon, la cause est entendue : son Alceste est un être franc, que le jeu mondain rend littéralement furieux. Il proteste, éructe, sautille, cheveux au vent, ne comprenant pas que le monde ne saisisse pas sa franchise, et ne se comporte pas comme lui. Le plus souvent, avant le désert, il se retire en avant-scène, dans un petit espace sombre, qui sied à son envie de solitude, tandis que les autres occupent des espaces plus en vue.
Tout est bien propre et bien rangé : le parquet, digne de Versailles, pourrait aussi être un damier, propice aux stratégies mondaines – on déplace bancs et fauteuils au gré des manœuvres de rapprochement et d’éloignement, dans d’impeccables diagonales de jeu. A jardin, une porte, vers des intimités cachées, à cour, d’autres portes, vers l’extérieur, et de grandes fenêtres qui ouvrent vers le parc. A l’avant-scène et au lointain des espaces de passage, où l’on ne s’attarde guère, soucieux que l’on est d’entrer en scène, quand on est rompu aux usages. En fond de plateau, un paysage enneigé, presque naturel, une nature domestiquée dans un intérieur comme il faut. Sur ce Versailles de convention, Françon greffe des personnages en habit fifties ou sixties, élégants en diable – ses petits marquis sont des teddy boys méchés de près, qui déclenchent immanquablement le fou rire. De temps en temps résonne un cor de chasse, ou une rumeur : on chuchote, on commente, ce n’est pas la salle mais les spectateurs cachés de cette terrible comédie de l’amour maudit, dès le début. Alceste s’en va, et les fêtes de cour éclatent : défaite du héros, déconfiture des intègres, applaudissements.
Rien à dire sur cette troupe qui lance ses alexandrins avec mesure et fermeté. Gilles Privat est un Alceste tout à fait intéressant, épaulé par un Philinte tout en finesse (Pierre-François Gare). Ensuite… Ensuite ? Si la scène du sonnet est un délice, celle des portraits est un abîme de lenteur. De fait, si les hommes sont bien servis, c’est bien les personnages féminins qui pèchent. On comprend mal ce qui lie Alceste à Célimène, tant leur relation distille un ennui presque peu poli. Dominique Valadié, qu’on a toujours tant de plaisir à revoir, se campe, hiératique, en Arsinoé, au milieu des cases blanches et noires. Et puis voilà. Finalement, ce Misanthrope-là est peut-être une parfaite forme-sens : une pièce belle à regarder, un peu vide, dans laquelle s’agite un personnage qui n’aspire qu’à lui insuffler de la vie, de la vérité, mais finit par en sortir.
© Michel Corbou
Le Misanthrope de Molière
Mise en scène Alain Françon
Décor Jacques Gabel
Lumière Joël Hourbeigt
Costumes Marie La Rocca
Musique Marie-Jeanne Séréro
Coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
Son Léonard Françon
Avec David Casada (Clitandre), Pierre-Antoine Dubey (Acaste), Pierre-François Garel (Philinthe), Gilles Privat (Alceste), Lola Riccaboni (Elliante), Régis Royer (Oronte), Dominique Valadié (Arsinoé), Marie Vialle (Célimène)
Vu au Théâtre Dijon Bourgogne le 13 février 2019
Durée 2h
Tournée
26 février au 10 mars 2019
Théâtre du Nord, Lille
14 et 15 mars 2019
Théâtre du Préau, Vire
21 et le 23 mars 2019
La Comédie de Reims
26 au 30 mars 2019
Jeu de Paume, Aix-en-Provence
2 au 13 avril 2019
MC2, Grenoble
23 et 25 avril 2019
Le Quai, CDN d’Angers
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