À l'affiche, Critiques // Le Marchand de Venise, de William Shakespeare, mise en scène Ned Grujic au Théâtre du Lucernaire

Le Marchand de Venise, de William Shakespeare, mise en scène Ned Grujic au Théâtre du Lucernaire

Fév 01, 2018 | Commentaires fermés sur Le Marchand de Venise, de William Shakespeare, mise en scène Ned Grujic au Théâtre du Lucernaire

© Jean Letort

ƒƒ Article de Victoria Fourel

A Venise, les marchands, les créanciers, les amoureux, tous échangent et monnaient, vendent et négocient. Dans une ville où le pouvoir et les navires circulent, Shakespeare nous raconte l’histoire d’Antonio, le chrétien, marchand contraint d’emprunter de l’argent à Shylock, le juif, pour aider son ami Bassanio, désireux de prétendre au cœur de sa belle Portia. Par ce prêt dangereux nous sont racontés la difficulté de vivre ensemble, la haine entre les peuples et entre les hommes, le caractère marchand des choses et des sentiments, l’amitié, la vengeance.

C’est une mise en scène épurée et une adaptation simple que nous propose Ned Grujic, avec réussite. Il y a un peu de théâtre d’objet et de théâtre d’ombres, avec ces maquettes et ces aquariums représentant les canaux. Utilisée à bon escient, cette scénographie est gracieuse et inventive, parvenant notamment à faire naître un décor presque réaliste et grandeur nature avec peu de choses. Les comédiens passent de personnage en personnage avec quelques accessoires et l’on comprend aussitôt que le souhait était d’aller à la simplicité, à l’économie et à la modernité, et ça fonctionne plutôt bien dans l’ensemble.

Du point de vue de la mise en scène, on note quelques soucis de rythme et de mise en place, et surtout un début un peu poussif dans le niveau de jeu et dans l’engagement. Dans les premières scènes, les enjeux ne sont pas encore clairs, et cela se sent dans le jeu. C’est interprété de façon assez premier degré avec une légèreté excessive. Puis nos doutes s’évanouissent et l’on rentre dans une deuxième partie de spectacle, riche d’une réelle sincérité, en constante amélioration. On est projeté dans un monde où le racisme est permanent, où la valeur marchande des choses prend le pas sur les hommes, où l’on peut prélever la chair d’un ennemi pour un prêt non tenu. Le plaisir de cette équipe à mélanger rôles d’hommes et de femmes, à créer les uns et les autres transparaît, et le tout est au service d’une intrigue claire.

Ned Grujic et son équipe proposent une mise en scène complète et cohérente, même si le choix de la simplicité peine parfois à s’imposer sur tous les moments du spectacle. Mais on apprécie que les enjeux soient clairs et francs, et ce dès le départ. On entend la solitude de Shylock, sans cesse rappelé à sa foi et à son peuple, intransigeant à tout prix dans celle-ci. On entend que cette ville est un lieu de passage où personne, peut-être, n’est réellement chez lui, où il faut se battre pour faire entendre que la bonté est une possibilité. Le spectacle d’ailleurs ne dit pas franchement que cette bataille est en passe d’être jamais gagnée. Avec un certain sens du drame et du suspense, Le Marchand de Venise nous dit, finalement, que les mots peuvent avoir tous les sens qu’on voudra bien leur donner, et que la bonté n’est jamais sûre.

 

Le Marchand de Venise
Texte William Shakespeare
Adaptation et mise en scène Ned Grujic

Avec Thomas Marceul ou Cédric Révollon, Julia Picquet ou Léa Dubreucq, Rémy Rutovic et Antoine Théry

Du 24 janvier au 1er avril 2018, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 17h

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris
Réservation 01 45 44 57 34
http://www.lucernaire.fr

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