© Michel Cavalca
ƒƒ Article de Victoria Fourel
Elle est injuste la Mort. Elle prend sans explication, en laissant les hommes qui restent tenter de la comprendre. Un laboureur qui vient de perdre sa femme prend la Mort à partie pour tenter de faire du sens avec l’incompréhensible.
Autant se le dire, nous ne sommes pas là pour rigoler. Le postulat de base n’appelle pas à la détente, et la direction prise par Christian Schiaretti non plus. Le spectacle commence dans une pénombre mystérieuse, avec un laboureur vissé au sol qui lance au public sa complainte, sa colère. On a un peu peur de ce ton grave et monolithique. Mais la surprise se fait assez vite, quand la Mort apparaît, elle aussi. Sous les traits d’une espèce de vampire rétro. Un rire léger traverse la salle. Et là, tout se décale.
D’abord, parce que les lumières, vraiment très réussies, créent des zones hors desquelles rien n’est visible. On a beau chercher, on ne sait pas, avant un certain moment, à quoi ressemble le plateau, et où va apparaître la Mort la prochaine fois. Et le décor, une fois visible, nous surprend vraiment, lui aussi.
Ensuite, parce que cette mise en scène décide de faire du laboureur, de la Mort, et même du Prince des Cieux, qui arrive plus tard, des archétypes, des personnages excessifs, qui donnent un petit goût d’humour et de second degré malgré tout. Comme si le débat métaphysique hésitait entre littérature classique et bande-dessinée. En tout cas, c’est ce qui est nécessaire au public pour alléger le propos.
Bien sûr, cela veut aussi dire que tout, jusqu’à la diction, sera appuyé. Et cela gêne, parfois. Les voyelles sont longues, même les e muets sont audibles, on est dans de la déclamation, ce qui ne manque pas d’être pesant. On ne sait à quelle époque situer l’action, mais pire, on ne sait pas à quelle époque situer la mise en scène. Techniquement, cela ne manque pas de coffre et d’assise, mais c’est un peu lourd. En même temps, on parle de la finitude de la vie, et du chagrin immuable qui en fait partie. Il fallait s’y attendre.
Ce qui est très surprenant, et pour le coup, pas du tout attendu, c’est le choix de faire jouer ce texte. D’une idée classique résulte une perspective rare sur le rapport que nous avons avec notre condition. Un homme cherche à trouver la faille face à l’inéluctable, tente de battre la Mort à son propre jeu, tente de comprendre. Et à la fin, dans le monde qu’il occupe, celui du début XVème, c’est Dieu qui tranche. Celui où le personnage, qui écrit et se répond à lui-même, ne va pas cesser de souffrir face à la perte immense de celle qu’il aime. Mais il va prier. Il va la remettre entre les mains de son Dieu, essayer de continuer à vivre avec les explications de la Mort.
Cette vision fantasmagorique peut heurter par son goût du personnage classique, ses images tout droit sorties de livres de mythologie. C’est un spectacle ample, pas forcément facile d’accès, mais efficace et intelligent. Qui force à prendre un peu de recul sur notre vision des textes anciens, et à reconnaître la précision du travail.
© Michel Cavalca
Le Laboureur de Bohème, de Johannes van Saaz
Mise en scène Christian Schiaretti
Scénographie Renaud de Fontainieu
Accessoires et adaptation scénographie Fanny Gamet
Lumières Julia Grand
Costumes Agostino Cavalca adaptés par Thibaut Welchlin
Avec Antoine Besson, Damien Gouy, Clément Morinière
Du 25 au 28 septembre 2019
Le mercredi et le vendredi à 20 h30
Le jeudi à 20 h
Le samedi à 18 h 30 et le dimanche à 16 h
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon
69100 Villeurbanne
Réservation 04 78 03 30 00
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