Critiques // « Le Jeu de l’Amour et du Hasard » de Marivaux par Michel Raskine à l’Odéon

« Le Jeu de l’Amour et du Hasard » de Marivaux par Michel Raskine à l’Odéon

Jan 14, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Jeu de l’Amour et du Hasard » de Marivaux par Michel Raskine à l’Odéon

Critique de Pauline Decobert

Dernier amour

Pour offrir ce que l’on pourrait appeler une nouvelle jeunesse à l’œuvre bien connue de Marivaux, le metteur en scène Michel Raskine a choisi de transformer les personnages de la pièce. Plutôt que d’assister aux amourettes fleuries de jeunes gens inexpérimentés, voilà qu’une bande de quinquagénaires prend place. En fait, il s’agit du fameux « Gang » de Michel Raskine, troupe d’acteurs avec laquelle il nous a souvent proposé ses spectacles. On connaît de l’auteur du XVIIIème son penchant pour les complications, les pistes brouillées, les histoires à nœuds (comme les cordes, grimpe qui peut !), et ce parti-pris semble aller dans la direction même de Marivaux, alors pourquoi pas ? Place à la grinçante histoire des quinquas sans trop d’espoir… Allez on troque !

© Michel Cavalca

Audace et déconfiture

On ne peut pas nier que le jeu est là, les acteurs savent nous tenir en suspens le long de la pièce alors que celle-ci nous est plus que familière à tous… Et même pour ceux qui ne l’ont ni vue ni lue, l’intrigue est toute là dès le début : une femme, de haut rang, doit se marier à un homme, de haut rang. Or, ce sont des inconnus. Pour faire leur choix, apprendre à se connaître, que vont-ils donc faire ? Ils vont se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Et ce, chacun de leur côté : ils ont le même rang, et les mêmes idées, cela va de soi. Ainsi chacun d’entre eux joue le valet / la soubrette et observe. Ce parfait nœud, mathématique, symétrique, nous indique déjà une autre symétrie : chacun se reconnaît  sans le savoir, et c’est inconsciemment qu’ils retombent sur leurs rails parallèles bien tracés. Et oui, le beau aime la belle et réciproquement, le vulgaire aime la grosse bonne-femme et réciproquement. Et voilà, le tour est joué ! On n’échappe pas à sa naissance. Mais Raskine ne s’arrête pas là, parce qu’il faut l’admettre, on connaît déjà la chanson. La reproduction de Fragonard, « Le verrou », l’indique : si on la laisse moisir sur un coin de la scène c’est parce qu’on l’a tous déjà vue. Alors Raskine restitue l’intrigue dans une autre tranche de vie : qu’est-ce que ça donne si on fait la même expérience avec des gens qui connaissent aussi le piège ? Qu’obtient-on lorsque des acteurs chevronnés prennent place ? Une pièce bien jouée. Il y a de beaux moments sur scène, et la mise en scène est surprenante, dynamique (les acteurs entrent de tous côtés ce qui n’est pas prévu, le père espionne à travers une ouverture cachée par un cadre). On évite le mou, le niais. L’audace du renversement consiste surtout à accentuer sur la cruauté, la froideur scientifique d’une expérience sur êtres humains volontaires. C’est un visage de la pièce qui restait en effet peu montré.

© Michel Cavalca

Mais la cruauté a-t-elle besoin d’attendre la maturité de ceux qu’elle habite déjà pour s’exprimer ? N’est-elle pas encore plus violente, plus acide, lorsqu’elle se cache sous les traits de l’innocence (ou au moins de l’inconscience) ? Est-ce-que la scène où Sylvia ne comprend plus les réactions de son corps d’amoureuse malgré elle a encore un sens ? Faut-il mimer la masturbation et autres appétits purement sexuels au lieu de les laisser sous-jacents, mystérieux,  insondables ? Finalement, afficher ce qui devait rester sous-entendu rend en effet la pièce plus cruelle, mais pas plus sombre. La perversité latente est complètement annulée par ces choix de franchise. Par ailleurs, si ce choix du metteur en scène nous apparaît comme discutable, c’est surtout par le final du spectacle. Il est vrai qu’on se laisse vraiment volontiers prendre au(x) piège(s) pendant la pièce, notamment grâce à ce décor plus qu’attirant (fauteuils moelleux, rideaux roses et trophée de chasse – mais qui chasse qui ? -). Et c’est déjà un tour de force ! Seulement, le metteur en scène ajoute un non-acte. Voilà, comme ça, collé. Plus aléatoire tu meurs ! Non seulement on n’y comprend rien, mais en plus c’est fait pour ça ! Les personnages s’ennuient, pendant que les acteurs rangent. On fume, on chuchote, on lance des confettis en faisant la gueule… etc. Une fin de soirée sans intérêt, de l’anecdote pure et dure sur scène. Par quelle prétention peut-on penser qu’après deux heures de spectacle, il suffira de laisser des acteurs comme ça sur scène, et que nous, spectateurs, allons y trouver du sens ? Les acteurs ne cessent pas seulement de parler, mais ils cessent aussi de jouer, et s’imposent là presque comme une torture de dernière minute. On devine un questionnement du style « Quand s’arrête la pièce ? La fin du texte, le dernier mot, signe-t-il la fin de l’œuvre scénique ? ». Bien que ce soient des questions intéressantes, elles ne trouvent pas d’échos sur scène, si ce n’est l’agacement et l’hésitation à applaudir des spectateurs. On ne peut passer sur cette « fin » en se disant que de toute façon la pièce était bonne « quand même », même si c’est le cas. Le metteur en scène dévoile ici une démarche additionnelle : pour actualiser cette pièce, on a supprimé certains clichés qui l’accompagnaient, mais on décide alors d’en ajouter d’autres (ceux des quinquagénaires soit-disant désabusés de notre époque). Pourquoi dénaturer à nouveau cette œuvre? C’est donc sans mot dire, que les acteurs finissent par dénoncer la vulnérabilité des choix d’une mise en scène qui cherche à se démarquer coûte que coûte plutôt que d’explorer les profondeurs d’une œuvre.

Le Jeu de l’Amour et du Hasard
De : Marivaux
Mise en scène : Michel Raskine
Décor : Stéphanie Mathieu
Costumes : Josy Lopez
Lumière : Julien Louisgrand
Avec : Stéphane Bernard, Christine Brotons, Jean-Louis Delorme, Christian Drillaud, Marief Guittier, Guy Naigeon, Michel Raskine

Du 12 Janvier 2011 au 06 Février 2011

Odéon Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier
1 rue André Suarès, 75 017 Paris – Réservations 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.fr

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