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Le grand cahier, d’Agota Kristof, mise en scène de Valentin Rossier, Manufacture des Abbesses

Sep 16, 2020 | Commentaires fermés sur Le grand cahier, d’Agota Kristof, mise en scène de Valentin Rossier, Manufacture des Abbesses

 

© Carole Parodi

 

ƒƒƒ article de Nicolas Brizault

Valentin Rossier est seul, debout sur scène, quasiment dans le noir, du moins dans un espace sombre, réduit. Dans le noir, complètement, n’hésitons pas. En face de nous, tout près. C’est comme si seulement apparaissait sa silhouette, son visage. Lui, mais très peu. À peine et entièrement. Et tout commence, il nous entraîne dans ce texte terrifiant d’Agota Kristof, Le grand cahier, écrit en 1986, premier tome de cette trilogie célèbre, la « Trilogie des jumeaux », rejoint en 1988 par La preuve, et en 1992 par Le troisième mensonge. Les prix furent nombreux pour l’œuvre d’Agota Kristof, on comprend, on le savait, on avait lu, oui, mais on ressort frappé de l’adaptation de Rossier. Vraiment.

Le grand cahier, est la vie de ces jumeaux laissés dans une campagne désertée, par leur mère qui souhaite les mettre à l’abri de la guerre, des bombes, de la violence, de la mort et du chagrin. Elle s’est forcée à les déposer chez son étrange mère, pas vue depuis des années. Bonne idée si on s’arrête-là, naïfs. « Elle s’est forcée » oui. Mais la vieille est une charogne, une peste qui ne connaît pas ces deux petits jumeaux, qui s’en fiche surtout, qui ne semble pas déborder d’amour, pour personne d’ailleurs, une sale femme sale, une mauvaise. Entourée qui plus est d’un curé pédophile et SM, dont la bonne est beaucoup plus sympathique et tout aussi attirée par les petits garçons. Les jumeaux alors se disent qu’il faut rebondir, tâcher de faire face à ces misères, en étant les plus forts possible, sachant ne plus manger tous les jours, en se battant, multipliant les douleurs et les errances, de toutes natures. Ils y arriveront, ils y trouveront une force certaine. Avec tous les aléas et les surprises qui s’y attachent. L’un avec l’autre, l’un contre l’autre, l’un ou l’autre.

Ce roman d’Agota Kristof nous laisse bouche bée. On se demande tout d’abord ce que Valentin Rossier va faire de tout ça, seul sur scène, sans bouger. Dès les premiers mots, on est attrapés. Comme ligotés peu à peu. Pas de hurlements, de cris, de râles. Non, deux gamins qui racontent, sagement, un peu rapidement ici où là, mais qui racontent. Qui expliquent. Et à travers leurs mots ils apparaissent discrètement, il disparaît. On voit la mère, la grand-mère, tous les autres. La cruauté, la saleté, les odeurs s’étalent, collent. Les visages des gamins sont là, on s’en souviendra. Et pourtant Valentin Rossier est simplement devant son micro, parfois appuie d’un pied un petit instrument au sol et la bande son s’arrête, diminue, reprend, c’est selon. C’est d’ailleurs le seul moment un peu trop Paris 2020 au théâtre. Un peu trop net, un peu trop mécanique. On sait où on est, on retombe, surpris, ailleurs que dans ce pays en pleine guerre, ailleurs que chez cette grand-mère épouvantable. Épouvantable et qui donne pourtant à manger à des « prisonniers » passant devant chez elle, des déportés sans doute, qui traversent le village, affamés et entourés de soldats armés.

Valentin Rossier est le metteur en scène, le comédien. Curieusement un « s » allait sortir de mon clavier, c’est dire. Le talent est là, qui en plus de la force de ce texte, nous emporte, nous fait mal. La représentation dure un peu plus d’une heure, et plus le temps passe, plus curieusement une sorte de « trop », de « stop » s’installe. Une nausée ferme nous pénètre. Et pourtant on se dit que l’on a bien choisit, bien fait de venir voir ce texte fabuleux mis en volume ici, ce soir. On se souvient de l’avoir lu, on se souvient d’exactement la même réaction. Donc le travail ce soir est excellent. On est pris par les cheveux, le sale, la crasse, la mort. Tout est là. C’est comme si Agota Kristof nous lisait son texte, elle-même. On a besoin d’air en sortant, oui. Preuve de(s) talent(s) qui nous ont mis à terre et qu’on applaudit sans réserve. Bravo !

 

© Carole Parodi

 

Le grand cahier, Agota Kristof

 Valentin Rossier

 Valentin Rossier

Dramaturgie : Hinde Kaddour

Musique et conception sonore : David Scrufari

Lumières : Davide Cornil

 

Du 30 août au 7 octobre 2020

Dimanche à 20 h, lundi, mardi et mercredi à 21 h

 

La Manufacture des Abbesses

7 rue Véron

75018 Paris

Métro Abbesses ou Pigalle
T+ 01 42 33 42 03
www.manufacturedesabbesses.com
public@manufacturedesabbesses.com
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