À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Le Crépuscule des singes, d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov, d’Alison Cosson et Louise Vignaud, mise en scène de Louise Vignaud, Théâtre du Vieux-Colombier / Comédie Française

Le Crépuscule des singes, d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov, d’Alison Cosson et Louise Vignaud, mise en scène de Louise Vignaud, Théâtre du Vieux-Colombier / Comédie Française

Juin 14, 2022 | Commentaires fermés sur Le Crépuscule des singes, d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov, d’Alison Cosson et Louise Vignaud, mise en scène de Louise Vignaud, Théâtre du Vieux-Colombier / Comédie Française

 

© Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Boulgakov, Molière, le destin de deux écrivains, protégés par le pouvoir et soumis paradoxalement à la censure par ce même pouvoir. Deux vies, deux œuvres mises en regard, destin parallèle ou le second éclairerait de ses feux le premier, témoignage aussi de la résistance de la littérature, de l’imaginaire, à toute tentative d’oppression et de mise à mort. Louise Vignaud et Alice Cosson interrogent dans cette création, qui est un bel hommage au théâtre, les rapports ambigus entre le politique et l’artiste. Boulgakov admirait Molière, La cabale des dévots (1929), pièce sur Le Tartuffe et son interdiction et surtout son remarquable Roman de monsieur de Molière (1933), refusé à la publication, en témoigne. Alors pourquoi ne pas faire se rencontrer ces deux hommes ? Un soir, qu’après avoir reçu notification que toutes ses pièces seront retirées de l’affiche, ses romans retirés des bibliothèques, et malgré l’admiration que lui porte Staline, Boulgakov désespéré reçoit la visite des poètes Boileau, Chapelle et La Fontaine. Nous sommes au théâtre, tout est possible. Et ces trois-là, l’emmènent illico rencontrer Molière − il suffit d’ouvrir comme au théâtre un rideau pour qu’opère la magie − au sortir Des Précieuses ridicules. Pièce soumise à la vindicte des précieuses, représentée par Madame de Rambouillet, exigeant dans une scène cocasse − Thierry Hancisse est hilarant dans ce personnage plus dragonne que précieuse − de retirer la pièce ou de lui apporter de sévères modifications. Et c’est ainsi que l’on pendule de la loge de Molière au bureau de Boulgakov, d’un siècle à l’autre, le plus naturellement du monde, avec une belle fluidité. Rien qui n’étonne donc, en cela nous retrouvons l’esprit de Boulgakov, celui injecté dans le roman Le maître et Marguerite. De tableaux en tableaux, où l’imaginaire s’émancipe de la réalité, où le théâtre balaye pour un temps toutes inquiétudes, où les coulisses sont l’enjeu d’une bataille pour la survie d’une œuvre et de sa propre vie, Louise Vignaud et Alice Cosson établissent un étrange jeu de correspondance, réelle ou fictive, certaines figures semblant se superposer comme un seul et même visage, d’une époque à l’autre, soulignant une communauté de destin.  L’histoire, même réinventée, est un éternel recommencement. Et s’il est une belle réussite ici, elle est sans nul doute dans les scènes de théâtre, celui de Molière, où la troupe de L’Illustre Théâtre, entre masques et visages fardés, impose au roi son talent. Théâtre de tréteaux flamboyant qui se délite au fil de la représentation, il n’y aura bientôt plus que cendres dans les coulisses du Théâtre d’Art de Moscou hantés par les purges staliniennes. Et si étrangement Boulgakov et Elena Sergueïevna Boulgakova évitent le destin de Meyerhold, exécuté, et Elena Sergueïevna Zinaïda Reich, assassinée, – car il est aussi ici question de l’importance des femmes – la mort néanmoins est en filigrane de cette création. Où la résistance d’une œuvre est la survie de l’artiste condamné par le pouvoir et ses enjeux. Une scène fort drôle résume parfaitement cette ambiguïté, où louis XIV, jouée avec finesse par Géraldine Martineau, reçoit successivement l’archevêque menant cabale contre Le Tartuffe et Molière pour sa défense. L’ensemble de la distribution fait montre encore une fois de l’excellence actuelle de la troupe du Français (ajoutons, délicieuse ironie, Éric Ruf prêtant sa voix pour le rôle de Staline…), auquel il faut ajouter désormais Nicolas Chupin dans le rôle de Molière et dont ce sont les premiers pas dans la Maison, donnant à cette création ne manquant pas de qualité mais un peu trop sage et qui aurait mérité sans doute plus d’âpreté, une dynamique qui lui manque parfois.

 

© Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française

 

Le Crépuscule des singes d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov, d’Alison Cosson et Louise Vignaud

Mise en scène de Louise Vignaud

Dramaturgie : Alison Cosson

Scénographie : Irène Vignaud

Costumes : Cindy Lombardi

Lumières : Julie-Lola Lanteri

Son : Orane Duclos

Maquillages et perruques : Judith Scotto

Assistanat à la mise en scène : Margot Thery

 

Avec la troupe de la Comédie Française : Thierry Hancisse, Coralie Zahonero, Christian Gonon, Pierre Louis-Calixte, Gilles David, Géraldine Martineau, Claïna Clavaron, Nicolas Chupin

Voix off : Éric Ruf

En Partenariat avec la Compagnie La Résolue

 

 

Du 1er juin au 10 juillet 2022

Le mardi à 19 h

Du mercredi au samedi à 20 h 30

Le dimanche à 15 h

 

 

 

Théâtre du Vieux-Colombier

21 rue du Vieux Colombier

75006 Paris

Réservations : www.comedie-française.fr

 

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