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Le coup droit lifté de Marcel Proust, Collectif les Possédés, théâtre de la Bastille

Fév 09, 2016 | Commentaires fermés sur Le coup droit lifté de Marcel Proust, Collectif les Possédés, théâtre de la Bastille

ƒƒ article de Denis Sanglard

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© Jean Louis Fernandez

La madeleine de Proust. Ce petit gâteau trempé dans un peu de thé qui ouvre sur un passé et voit la naissance d’une écriture, d’un écrivain… Rodolphe Dana, pour ceux qui ont lu Proust,  ressuscite cet instant précis où l’écriture jaillit d’un souvenir, où « le temps perdu »  revient à la mémoire et devient acte d’écriture. Ça commence dans le noir et par la fin. L’achévement du mamuscrit de la Recherche et la mort de Marcel Proust. La voix de Céleste Albaret, sa gouvernante, qui collait sur le manuscrit les paperolles de cette fresque toujours recommencée, qui lui ferma les yeux, à qui il avait confié pouvoir enfin mourir, l’œuvre étant achevée. Non, nous n’aurons pas lecture de toute la Recherche. Juste quelques passages extraits de « Du côté de chez Swann » – entre autre l’inévitable extrait de la madeleine – mais comme autant de signets d’une écriture unique, ces phrases asthmatiques, digressives, expression d’une pensée qui se veut précise jusque dans la moindre nuance. Proust était un portraitiste pointilleux, un paysagiste minutieux. Le monde contenu dans une phrase. L’image proustienne est un kaléidoscope aux milles nuances délicates, miroir éclaté d’une réalité et d’une société singulière embrassée dans son ensemble sous le prisme de la poésie. Ça commence dans le noir donc. Vient l’évocation de l’insomnie du narrateur, le chaos qui précède la pensée. Le plateau bientôt éclairé entre chien et loup, une intimité propice à la lecture, à l’écoute. Ils sont trois face à nous. A basculer délicatement entre le jeu et la narration. A ne jamais perdre le fil de cette écriture qui n’en finit pas de s’enrouler, de spiraler, d’envahir l’espace. Ce que l’on (re)découvre c’est le paysagiste (les ciels de Balbec), le portraitiste (ah monsieur Grandin !),  le styliste arachnéen… Cette capacité que ces quelques courts extraits choisis avec soin révèlent, disséquer le monde et les êtres pour atteindre une vérité – et son cortège de faux semblant – sublimée par l’écriture. Ils ne jouent pas plus que ça, juste par petite touche – excepté pour l’évocation de Monsieur Grandin – tout entier immergés, absorbés dans l’écriture. La phrase se charge d’elle-même des émotions qu’elle charrie et provoque. Il ne reste simplement qu’à dire, qu’à énoncer pour que naisse l’émotion. Et c’est ce qu’ils font. Très bien. La clarté de la diction, la sureté du souffle, la scansion de la respiration, le corps en retrait, l’apaisement du clair obscur avant l’obscurité qui bientôt envahira de nouveau le plateau, effacera les trois narrateurs, de nouveau rendus à l’ombre. Rien que l’écriture. Et il n’y a plus rien entre elle et les spectateurs qui fasse obstacle. Juste la révélation d’un univers, l’évocation d’un monde perdu, d’un temps retrouvé. « Le coup droit lifté de Marcel Proust », titre évocateur qui exprime la sureté d’un lift et la sécurité d’une balle sur la longueur parce que tournant sur elle-même, métaphore ad-hoc de cette écriture,  mais aussi sans doute référence ironique d’une photo de Marcel Proust en joueur de tennis, « Le coup droit lifté (…)» donc devient notre morceau de madeleine, dans une mise en abyme malicieuse qui nous renvoie à nos propres souvenirs proustiens. C’est une démonstration habile de cette imprégnation inconsciente, que l’on est lu ou non Marcel Proust, de cette évocation qui réduirait Proust à ce biscuit trempé dans le thé. Rodolphe Dana comme partant de ce constat, de ce lieu commun littéraire, ne réduit pas La Recherche à la madeleine. Il en extrait avec justesse le processus littéraire, et théâtral,  que la lecture de ce moment éveille en chacun de nous. Et qu’il souligne. C’est très malin. Ce qu’il donne à entendre, comme une lecture à bas bruit, c’est combien cette écriture est vivante, toujours palpitante. Que ce monde disparu évoqué ne doit sa survie qu’à la poésie et l’humour – oui il y en a – de Proust. Pour ceux qui ne connaissent pas Marcel Proust, pour ceux qui souhaitent le redécouvrir, loin des clichés, c’est au théâtre Bastille que le temps perdu est provisoirement retrouvé.

Le Coup droit lifté de Marcel Proust d’après le roman « Du côté de chez Swann »
Création collective dirigé par Rodolphe Dana
avec Katja Hunsiger, Antoine Kahan, Marie-Hélène Roig
Scénographie Katrijn Baeten, Saskia Louwaard
Lumières Valérie Sigward
Son Jean-Marc Istria

du 6 au 19 février 2016 à 19h30, dimanche à 15h30
relâches les 9/10/11/15/16 et 17 février

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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