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Le Colonel des Zouaves, d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde au CENTQUATRE-PARIS, dans le cadre du Festival Les Singulier-es, à Paris

Fév 17, 2025 | Commentaires fermés sur Le Colonel des Zouaves, d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde au CENTQUATRE-PARIS, dans le cadre du Festival Les Singulier-es, à Paris

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

À l’opéra on parle d’une prise de rôle, Guillaume Constanza succède à Laurent Poitreneaux dans Le Colonel des Zouaves seul en scène crée en… 1997. Le colonel épinglé à une servitude domestique, toujours atteint d’un syndrome de Stockholm, sublime le service en esthétique de l’auto contrôle, narrateur de ses visions fulgurantes du fond de sa soupente « je dis tout ce que je fais à la même vitesse que je le fais. Je suis bien réglé. Je suis là, c’est moi, ce sont mes mains qui tiennent le plat, il n’y a aucun problème, je vois le plat, je chantonne très doucement la chanson qui permet de faire bien les choses en temps réel. Je suis moi et personne d’autre. Je ne ferai pas tomber le plat ».

Du haut de son juchoir, ce héron de l’ombre singe les bourgeois aux rires extravagants, toute une basse-cour d’automates déréglés aux expressions régressives et animales, bouffis de suffisance. On dirait le salon de Mme Verdurin avec ses « yeux d’oiseau », et son « petit cri » devant le défilé des assiettes au milieu de convives qui ne s’amusent pas mais se contentent d’en donner les signes. Le majordome a des loisirs modestes qu’il transcende en équipée héroïque ; féru de pêche à la mouche, il lance l’hameçon d’un coup, dans l’espace infini de la galaxie. La silhouette d’insecte collée entre deux feuilles transparentes de plexiglas au centre du plateau, court immobile en faisant défiler le monde du bout des doigts, miracle d’équilibre, de délicatesse et de grâce là où il aurait été facile de jouer la farce.

Le comédien, tout en retenue, est parcouru de micros mouvements intensifs, l’émotion y surgit en un seul trait aigu – un léger plissement des lèvres, une inflexion de paupière, le relief externe d’un affect, un mélange d’exubérance et de stylisation. Son corps dessine les méandres du monde en une géométrie lyrique, il accommode sa propre vitesse au rythme de la phrase, et, malgré les risques de chutes, d’accidents ou de dérapages, cet accord rythmique finit toujours par lui ouvrir des lignes de fuite. L’animal retombe sur ses pattes à peine fléchies.

On pense à Buster Keaton qui contrôlait si bien ses muscles, courant, dévalant, emporté vers je ne sais quelle tempête sous un crâne. La voix amplifiée de l’acteur en fonction des locuteurs raconte la comédie humaine, l’amour inassouvi, les splendeurs et les misères du renoncement dans un effet de halo vocal, grâce au remarquable doublage sonore de Johanna Beaussart. « Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc, machin, Rob, je sais pas, je suis avalé dans les allées du paradis, je chante bouche fermée ». Ce Colonel des Zouaves a quelque chose du Seigneur des Porcheries de Tristan Egolf. Se vengera-t-il comme lui de la communauté dont il est exclu ? Jusqu’où des années de détresse muette peuvent-elles conduire un être en apparence raisonnable ? Une geste unique dans la vie d’un comédien, à ne pas rater !