Critiques // Critique • Le Collectif 71 présente une trilogie Michel Foucault au Théâtre de l’Aquarium

Critique • Le Collectif 71 présente une trilogie Michel Foucault au Théâtre de l’Aquarium

Jan 23, 2011 | Un commentaire sur Critique • Le Collectif 71 présente une trilogie Michel Foucault au Théâtre de l’Aquarium

Critiques d’André Antébi

« Foucault 71 » | « La Prison » | « Qui Suis-je Maintenant ? »

Michel Foucault, super star ! Dans le hall du théâtre, des t-shirts à son effigie sont en vente, ses livres sont présentés au complet, des affiches rappelant son engagement sont collées sur les murs et plus que tout, un spectacle de théâtre porte son nom ! Foucault philosophe et Foucault militant réunis par le collectif 71 autour de Foucault matériau théâtral.

On ne peut que s’enthousiasmer devant une telle démarche. Le collectif se place dans la ligne d’un théâtre engagé et acteur de son temps : « Nous partageons des interrogations communes qui ont trouvé un écho dans la pensée de Michel Foucault. Ces textes que nous ne connaissions pas, ressurgis des années 70, nous ont frappé par leur résonance avec notre actualité, par leur capacité à interroger le réel ».
Ces dernières années ont vu l’émergence de nombreuses compagnies dont le travail s’articule autour de textes non théâtraux pour aborder plus librement une thématique ou un questionnement. Je pense particulièrement aux mises en scène du Moukden Théâtre (Olivier Coulon-Jablonka) ainsi qu’aux spectacles du collectif D’ores et Déjà (Sylvain Creuzevault) qui questionnaient avec une certaine virtuosité la question de l’engagement.

Le collectif 71 dit s’attacher à un point précis de la pensée du philosophe, la « question du regard ». « Réveiller le regard, c’est bien redonner à chacun la part active qu’il peut prendre au monde ». C’est cette lourde tâche que se sont fixées les cinq comédiennes qui composent la compagnie (Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sarah Louis et Lucie Nicolas) à travers les trois créations présentées au théâtre de l’Aquarium, « Foucault 71 », « La Prison » et « Qui suis-je maintenant ? »

© Gérard Nicolas

« Foucault 71 »

La pièce a été créé en 2005 et revient sur l’engagement militant de Michel Foucault en 1971. Ce spectacle mêle des supports écrits, visuels ou sonores émanant des prises de paroles publiques du philosophe ou de son entourage. L’espace est morcelé entre un gradin en bois monté sur la scène et surplombé de banderoles, d’une table d’écriture, d’une autre qui fera office successivement de table de conférence de presse ou de studio de radio. Les comédiennes qui nous ont conduits vers la salle sont à présent sur scène et attendent pour commencer.
Puis la parole de Michel Foucault va se faire entendre autour de trois affaires. La création du Groupe d’information sur les prisons (GIP) avec Pierre Vidal-Naquet, dans le but de faire connaître au public l’état déplorable et « intolérable » des conditions de vie en prison.  Puis l’affaire Joubert, du nom de ce journaliste passé à tabac par une police dont l’impunité sera dénoncée par Foucault, accompagné cette fois de Gilles Deleuze et Claude Mauriac notamment. Enfin la création du comité Djellali à la suite du meurtre d’un jeune algérien par son concierge dans le quartier de la Goutte d’or à Paris.

À tous ceux qui, comme moi, ne sont pas des spécialistes de l’œuvre de Michel Foucault, ce spectacle nous apprend beaucoup et donne envie d’en savoir plus sur l’auteur.
Cependant on peut se demander si le collectif a bien su théâtraliser, poétiser tout ce matériau. C’était pourtant bien là leur intention : « le théâtre est d’abord notre outils d’appréhension d’une œuvre. Mais c’est aussi le lieu qui va déplacer, transformer cette matière, la frotter à des espaces de pure poésie, l’incarner, faire en sorte qu’elle ne soit seulement intelligible mais sensible ». Mais c’est justement cette intelligibilité qui ressort le plus de ce spectacle et l’on ne sent pas cette matière déplacée vers une autre dimension théâtrale. Sur ce point, le collectif 71 ne créer pas le décalage et se met même en difficulté lorsque les comédiennes décident de plaquer, sur le plateau, les situations à l’occasion desquelles les textes ont été dit pour la première fois. Ainsi, pour un texte issu d’une émission de radio, on reconstituera de manière assez artificielle un studio de radio. Idem pour la conférence de presse…
Le manque de distance nous enferme alors dans un travail purement documentaire qui aura eu pour mérite de nous en apprendre un peu plus sur Michel Foucault.

La seconde pièce que le Collectif nous présente retombe hélas, avec cependant une plus grande distance, une recherche plus subtile, dans les mêmes travers…

« La Prison »

Cette deuxième pièce développe un thème déjà abordé dans Foucault 71, et encore une fois, la démarche, l’intention et l’esprit qui se dégage de cette troupe est exemplaire. Les comédiennes n’essaient pas de s’immiscer dans un monde qu’elles ne connaissent pas, l’intérieur de la prison, mais posent un regard extérieur à la vie en prison. « Nous cherchons, à l’instar de Michel Foucault dans « Surveiller et Punir », à interroger le fonctionnement de la prison, en tant que bâtiment, en tant qu’institution carcérale, son fonctionnement, son rôle dans la société. Comment questionner la prison en la replaçant dans un contexte historique, social ou géographique. »

Pour ce volet, nous changeons de salle, la jauge est plus petite, nous sommes placés en quadri-frontal. De là où je suis, rien ne m’échappe. Je vois tout. Et je sais que je suis vu. C’est bien le but recherché de cette nouvelle disposition qui s’inspire du panoptique de Jeremy Bentham, et cela marche très bien. Les comédiennes aussi sont prises au piège de ces innombrables regards qui les entourent. Pas de coulisse, pas de répit.

Michel Foucault est donc présent mais aussi Deleuze, Beccaria et bien d’autres encore. On se rend compte ainsi que malgré le temps qui les sépare et les contextes qui divergent, ces philosophes ont été confrontés à une problématique qui se répétait pour chacun d’eux, avec une résonance toute particulière aujourd’hui dans nos sociétés dites modernes où la surveillance est devenue notre quotidien et notre divertissement.
Ainsi, dans cette arène, les questions sur la prison, et les modèles de surveillance qui en émanent, fusent. La réflexion sur l’adaptation de ces modèles à notre vie quotidienne, ce qu’on appelle la traçabilité, sur « le redressement de corps et le comportement dans la rue, à l’école, à l’hôpital » sont des choses qu’il fait bon d’entendre sur une scène de théâtre. Mais le traitement de ces questions trouve encore une fois sa limite dans le choix de n’en faire qu’une transmission didactique.

Le troisième volet en revanche prend le contre-pied du style déployé dans « Foucault 71 » et « La Prison ».

« Qui suis-je maintenant ? »

Cette  dernière pièce de la tilogie est la création 2011 de la compagnie. Et voilà comment le collectif nous la présente : le spectacle « est librement écrit à partir d’un texte de Foucault de 1977 » (« La vie des hommes infâmes »). Librement en effet comme si dans ce dernier spectacle la troupe prenait enfin de la distance avec leur sujet, et s’en libérait.
Michel Foucault avait pour projet de présenter une « anthologie d’existence », une collection d’archives qui l’ont ému. « La vie des hommes infâmes » constitue la préface de ce livre qui n’a jamais vu le jour.  Le collectif 71 a donc « choisi d’interpréter ce texte, c’est-à-dire de s’y fixer et d’en décoller comme d’un starting-block pour inventer ce qui pourrait venir après cette préface. À notre tour, nous avons composé notre herbier de personnages et nous en avons peuplé le plateau du théâtre. » *

Plus abstraite que les deux autres pièces, « Qui suis-je maintenant ? » propose un véritable univers. Un univers visuel tout d’abord fait d’une lumière très travaillée dans laquelle les personnages tout droit tirés d’un monde onirique évoluent en silence. D’un jeu de photos et de phrases projetées sur plusieurs rideaux depuis quatre rétroprojecteurs présents sur la scène et le tout sur le rythme endiablé qu’impose le musicien qui accompagne les comédiennes. L’univers sonore est également magnifique avec la présence sur scène de Fred Costa qui donne un relief tout particulier au spectacle.
Cet univers nous rappelle par moments, les ambiances de Joël Pommerat, obscures et dérangeantes, comme un conte noir.
Et le propos ? Cette fois, le sens parvient plus difficilement, l’attention même parfois nous échappe. Mais il nous reste tous ces extraits de vie, ces noms, ces mots prononcés un jour, et tout cela s’accumule et  s’entasse comme « ces milliards d’existences qui sont destinées à passer sans trace » (1). Ces existences là n’ont laissé comme trace que ces quelques mots qui les définissent à jamais.
« Cette pure existence verbale qui fait de ces malheureux ou de ces scélérats des êtres quasi fictifs, ils la doivent à leur disparition presque exhaustive et à cette chance ou malchance qui a fait survivre, au hasard de documents retrouvés, quelques rares mots qui parlent d’eux ou qu’ils ont eux-mêmes prononcés. » (1)

Pour ce spectacle, le collectif 71 s’est étoffé et a su s’entourer de nombreux talent. A la lumière Denis Gobin, également auteur de la scénographie avec Magali Murbach (qui signe par ailleurs les costumes), Estefania Castro à l’assistanat à la mise en scène, apportent beaucoup à cette création.

La troupe trouve avec ce spectacle, avec cette équipe, une belle maturité et évoque avec beaucoup de poésie ces histoires singulières, ces témoignages d’un moment de vie, sans début ni fin, juste un temps présent.


  1. Extraits de La Vie des Hommes Infâmes, Michel Foucault

Foucault 71
Conception, mise en scène, scénographie et interprétation : Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis, Lucie Nicolas
Lumières : Frank Condat et Daniel Lévy

La Prison
Conception, mise en scène et interprétation : Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis, Lucie Nicolas
Scénographie : Daniel Lévy et le collectif F71
Lumières : Frank Condat et Daniel Lévy

Qui suis-je maintenant ?
Mise en scène et interprétation : Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis, Lucie Nicolas
Musique et interprétation : Fred Costa
Assistanat à la mise en scène : Estefania Castro
Scénographie : Denis Gobin, Magali Murbach et le collectif F71
Lumières : Denis Gobin
Costumes : Magali Murbach

Du 12 janvier au 6 février 2011
Théâtre de l’Aquarium
Cartoucherie — Route du Champ de Manoeuvre, Paris 12e
M° Château de Vincennes — Réservations 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.net

Du 17 février au 3 mars 2012
Théâtre des Quartiers d’Ivry / CDN
Auditorium Antonin Artaud – Médiathèque

152 avenue Danielle Casanova, 94200 Ivry-sur-Seine
M° Mairie d’Ivry — Réservations 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.