À l'affiche, Critiques // Le Cid, de Pierre Corneille, mise en scène d’Yves Beaunesne, à la Manufacture des Œillets

Le Cid, de Pierre Corneille, mise en scène d’Yves Beaunesne, à la Manufacture des Œillets

Avr 12, 2018 | Commentaires fermés sur Le Cid, de Pierre Corneille, mise en scène d’Yves Beaunesne, à la Manufacture des Œillets

© Delahaye

ƒƒƒ Article de Denis Sanglard

« Dieu ! (…) qu’il est joli garçon l’assassin de papa ! »*. Cette boutade du poète Georges Fourest, sans résumer la mise en scène du Cid de Corneille par Yves Beaunesne, donne sans doute une des clefs de la volonté d’un metteur en scène de ne pas s’enferrer dans le carcan cornélien et de lui offrir une sacré vitalité. Louchant à raison vers Shakespeare, il y a du Hamlet dans la pugnacité chez Chimène à venger son père dont le spectre hante le plateau, nous oscillons entre la tragédie et la comédie. Mise en scène baroque, pour un texte qui ne l’est pas moins, par les sentiments exacerbés et d’une magnifique sobriété, austère même, dans sa composition volontairement picturale. Il y a du Zurbaran dans le choix d’un plateau dégagé de tout obstacle et sur lequel les corps vêtus d’étoffes lourdes et chamarrées se découpent avec netteté. Ce n’est pas tant le dilemme cornélien tant rebattu qui taraude Yves Beaunesne que ses conséquences. Honneur et amour, certes mais au-delà ce qui occupe le metteur en scène est avant tout un conflit générationnel. Entre un monde ancien, celui des pères attachés à l’honneur comme un boulet, et celui des enfants plus préoccupés à aimer. Chimène, têtue comme un taureau castillan, partagée entre ses deux valeurs devenues inconciliables, ne peut qu’abandonner ce monde ancien pour entrer dans une modernité que Rodrigue, devenu le Cid en combattant presque malgré lui les maures, a d’ores et déjà intégré, s’émancipant non sans doute et violence. S’arracher du père en lavant l’honneur de celui-ci n’est pas le seul paradoxe cornélien. Et puisqu’il faut tuer le père, commençons par celui de Chimène… C’est peut-être là que réside l’héroïsme de Rodrigue plus que sur un champ de bataille. La bataille, le conflit, est avant tout intérieur, dans cette volonté de rompre avec le monde ancien pour entrer dans l’inconnu, l’âge adulte. Et c’est dans ce conflit irrésolu alors même que Rodrigue, ayant fait table rase, lui ouvre le chemin que Chimène se débat jusqu’à la contradiction insoutenable. Le père hante toujours la fille, l’ordre ancien son emprise. Et cette querelle générationnelle Yves Beaunesne la greffe sur l’alexandrin. Car ce qui est mis en scène là, magnifiquement, c’est aussi la langue de Corneille. Archaïque, rugueuse, alerte, vivante. Pétrie comme une pâte et marqueur d’une rupture entre deux générations qui n’appréhendent pas la langue et donc le monde de la même façon. Jean-Claude Drouot, Don Diègue, charrie l’alexandrin comme le Guadalquivir. La langue est un fleuve qui roule et gronde avec majesté et tenue, maîtrise. A l’exact inverse de Chimène et Rodrigue, torrents impétueux, heurtés, débordant. Ces deux-là vous dynamitent  l’alexandrin sapant de fait l’autorité d’une société repliée sur sa langue devenue carcan. Entre tradition et modernité la pièce ne cesse de faire la bascule et dans cette oscillation, cette tension, Yves Beaunesne trouve la dynamique interne, le rythme heurté de cette pièce qu’il dépoussière avec malice et humour. Car on rit beaucoup avant d’être fauché par l’émotion. Sous des atours faussement classiques il rompt avec l’empesage traditionnel et décorsète tout ça sans barguigner. Et ce qui devient évident c’est combien cette langue loin d’être un obstacle, en s’appuyant sur elle, est tout à la fois populaire et d’une incroyable modernité. Qu’elle donne une impulsion folle à cette pièce magnifiquement bâtarde et dont les acteurs, chacun à sa façon mais dans une belle unité, dirigés au cordeau, s’emparent avec une belle énergie. Yves Beaunesne, c’est évident, à pour cette pièce les yeux de Rodrigue pour Chimène. Et c’est cet amour-là qui déborde de tout côté.

*In La négresse blonde

 

Le Cid de Pierre Corneille

Mise en scène d’Yves Beaunesne
Dramaturgie  Marion Bernède
Assistanat à la mise en scène  Marie Clavaguera-Pratx et pauline Buffet
Lumières  Marie-Christine Soma
Création musicale Camille Rocailleux
Costumes  Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillage  Catherine Saint-Sever

Avec Julien Roy, Marie Sylf, Jean-Claude Drouot, Eric Chalier, Thomas Condemine, Antoine Laudet, Maximin Marchand, Zoe Schellenberg, Eva Hernandez, Fabienne Luchetti

Du 4 au 14 avril 2018 à 20h
Le jeudi à 19h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h

 

Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gosnat
94200 Ivry sur Seine

Réservations 01 43 90 11 11
reservations@theatre-quartier-ivry.com

 

Be Sociable, Share!

comment closed