Critique de Bruno Deslot –
Un spectacle dévorant
Obtenant les Prix du jury et du Public du festival Impatiences en 2010 avec Le chagrin des ogres, Fabrice Murgia revient jouer dans la cour des grands pour donner un spectacle dans lequel toute la jeune génération s’est reconnue.
Une petite fille, joue, enfin jouait au mariage et vit un cauchemar, dévorée par cette enfance qui lui échappe et à laquelle l’adolescence de Laetitia et Bastian vient s’adjoindre. En narratrice omnisciente, elle commente ce rêve terrifiant, peuplé d’images sombres, l’accompagnant vers cette jeunesse perdue, égarée et à la marge d’une normalité inexistante. Egarée, elle parcoure la scène, frappant de son micro les rideaux placés à jardin et à cour, fendant l’obscurité, elle tente de comprendre ces jeunes gens enfermés dans leur cage situées en fond de scène et dont la baie vitrée laisse apparaître un espace de parole qu’elle ne peut pénétrer. L’ogre dévore, les enfants dévore les adolescents, qui tuent leurs parents, tue les enfants.
© Cici Olsson
Entre Kronos et les frères Grimm, Fabrice Murgia fait le grand écart pour mieux ressusciter l’enfance par le biais d’un conte onirique réalisé à la pointe du couteau. La langue est d’une dureté et d’une pureté évidente, tout comme ces jeunes gens frappés par le fatum intergénérationnel plusieurs fois millénaires, victimes d’eux-mêmes, de leur âge, de leur situation…
Une démarche expiatoire pour l’auteur qui enterre son adolescence en explorant la teneur d’une actualité qui résonne comme un coup de grâce. S’inspirant de l’histoire de Natascha Kampusch, enfermée dans une cave pendant 8 ans et Bastian Bosse, bloggeur allemand de 18 ans ayant ouvert le feu dans son établissement pour ensuite se donner la mort, F.Murgia aborde cet état de crise intérieur en plongeant le spectateur dans une espace mental à huis clos, orchestré par toute une technologie (vidéos, micros, musique électro…) servant une proposition naturelle et moderne. De part et d’autre des deux cages, des vidéos sont projetées afin d’illustrer le propos ou de l’accompagner, exorcisant ainsi une parole qui oscille en permanence entre le fantasme et le réel. Une musique électronique rythme la narration dans une parfaite adéquation totalement surréaliste et pourtant si proche de nous. Enfin, le micro, cette laisse infâme pour le comédien, restitue une parole muselée, étouffée par le doute, l’angoisse et la peur.
Une scénographie poussée à l’épure afin de distinguer les différents éléments de cet espace mental au sein duquel règne une grande confusion. L’ensemble est lisible et d’une grande fluidité. Le regard de l’enfance offre une catharsis remarquable d’éloquence, renouant avec la tradition de la tragédie antique : simplicité et complexité alternant selon un rythme étonnamment bien maîtrisé.
C’est donc un coup de maître pour cette jeunesse florissante qui, souhaitons-le, poursuivra sa route bien au-delà de la France et de la Belgique. Le propos est universel et fédérateur, intelligent et brillant.
Le Chagrin des Ogres
De et mis en scène : Fabrice Murgia (Ed. Hayez & Lansman, Belgique, 2010)
Avec : Emilie Hermans, David Murgia, Laura Sépul
Scénographie : François Lefebvre
Costumes : Marie-Hélène Balau
Maquillage : Charlotte Siderius
Lumière : Manu Savini
Musique : Maxime Glaude
Vidéo : Jean-François Ravagnan
Assistante à la mise en scène : Catherine HanceDu 6 au 15 octobre 2011
Odéon – Théâtre de l’Europe
Ateliers Berthier
1 rue André Suarès / 14 boulevard Berthier, Paris 17e
www.theatre-odeon.fr