ƒ article de Florent Mirandole

© Dan Aucante

Le Cantique est un chant religieux. Il faut toutefois avoir au préalable un solide bagage chrétien pour saisir ce que ce Cantique peut avoir de subversif. Car ce poème tiré du premier testament est déjà en soi un élément à part. Il évoque les amours d’un roi pour une femme, en mettant particulièrement en valeur leur amour charnel. Se saisissant de cette ode à l’érotisme, le chorégraphe Abou Lagraa ajoute une lecture tolérante et humaniste des religions. Dans ce cantique des cantiques, l’amour du couple est confronté aux différentes formes d’intégrismes auquel le monde arabo-musulman est confronté actuellement. Cette pièce alterne ainsi entre scènes d’amour et de tensions. Ce va-et-vient permet de confronter cet amour pur et total aux différents maux qui rongent à ses yeux la société : Intolérance, homophobie, violences faites aux femmes…

Le chorégraphe fonce tête baissée contre l’obscurantisme, et n’hésite pas à monter des scènes chocs pour porter son message. Ce parti-pris frontal est le fil rouge se retrouve à chaque scène du spectacle. Ainsi il ne faut pas attendre 10 minutes pour assister à une scène de transe d’une des danseuses. Ce message révolté est d’ailleurs souligné par tous les éléments de la pièce. Ainsi les lumières inondent le plateau et la musique déferle sur les danseurs. Les danseurs eux mêmes hurlent régulièrement leur chagrin et leur douleur. Peu de place est laissée à la subtilité ou à la respiration. Et si le message n’était pas assez bien compris malgré cette insistance, le metteur en scène prend soin de nous exposer son message en grosses lettres dans la scène finale.

Abou Lagraa parle manifestement avec son cœur à travers sa pièce, mais finit par asphyxier son message à force d’artifices. Il en ressort une pièce où l’excès est la règle, et où le spectateur est souvent accablé par la lourdeur du message. Si cet excès est le principal défaut de la pièce, c’est aussi son principal charme. Car l’insistance à souligner les tensions électriques qui traversent ou qui tombent sur le couple créent parfois des scènes fortes. Les scènes de groupes dégagent une belle présence, portées par des chorégraphies solides et originales. La troupe correspond à l’approche du chorégraphe. La plupart de ses danseurs sont grands et athlétiques, en particulier les hommes. C’est toutefois son danseur le plus fin, Ludovic Collura, qui apporte un supplément de grâce à chaque scène où il intervient.

Autre paradoxe, c’est dans les scènes au sol où l’engagement d’Abou Lagraa permet de créer les scènes les plus spectaculaires. L’énergie que dégagent les danseurs, notamment lors d’actes sexuels simulés, est déconcertante. Dans ces scènes le chorégraphe trouve le juste équilibre entre son approche engagée et son message.

Excessif et engagé, ce Cantique est malheureusement une pièce bancale, où le chorégraphe semble plus emporté par son élan que réellement maitre du déroulement de sa pièce. Il en ressort quelques scènes puissantes, au milieu d’un déferlement de bonnes intentions.

Le cantique des cantiques
Chorégraphie Abou Lagraa
Mise en scène Mikaël Serre
Traduction Olivier Cadiot, Michel Berder (Bayard éditions)
Adaptation Mikaël Serre
Musique Olivier Innocenti
Lumières Fabiana Piccioli
Vidéo Giuseppe Greco
Scénographie LFA – Looking for architecture
Costumes Carole Boissonet
Traduction anglaise et régie surtitre Harold Manning

Avec Pascal Beugré-Tellier, Ludovic Collura, Saül Dovin, Diane Fardoun, Nawal Lagraa-Aït Benalla, Charlotte Siepiora (danseurs), Gaïa Saitta, Maya Vignando (comédiennes)
Du 30 novembre au 3 décembre 2016

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro – 75116 Paris
Réservations : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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