© Stéphane Brion
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
L’on a eu autant de joie à écouter et regarder Le Bourgeois Gentilhomme qu’à la distribution de le jouer et le chanter. Cette nouvelle reprise de la mise en scène de Jérôme Deschamps créée en 2019 à Montpellier est toujours aussi jouissive et le comédien-metteur en scène semble prendre un plaisir inaltéré à le jouer, qui est communicatif. Est-il besoin de rappeler que Le Bourgeois Gentilhomme est comme son nom l’indique un (riche) bourgeois dont l’obsession est d’être considéré comme un gentilhomme ? Pour y parvenir, M. Jourdain s’est mis en tête d’imiter ce qu’il croit être les attributs des « hommes de qualité », de sa mise vestimentaire, à ses qualités intellectuelles, de sa domesticité à sa capacité de séduction, de la décoration de sa maison à ce que l’on y sert à manger. Sa naïveté est tournée en ridicule par le comte Dorante (précieux Guillaume Laloux qui incarne également le maître de danse) qui lui soutire autant qu’il peut de l’argent et lui fait acheter des cadeaux pour sa propre maîtresse, une marquise que monsieur Jourdain croit pouvoir séduire à la barbe de sa femme. Jérôme Deschamps est absolument désopilant dans ses différentes mises colorées, ses mimiques cocasses, ses agacements et ses emportements, sa maladresse avec ses maîtres d’arme, de danse et de chant, son ignorance béate avec son maître de philosophie. Madame sa femme (Josiane Stoleru) très enrouée en ce soir de première, laisse épanouir sa personnalité d’une bourgeoise assumée qui a les pieds sur terre et souhaite avant tout le bonheur de sa fille Lucile, à la chevelure rose pastelle, laquelle ne rêve que de se marier avec Cléonte (parfait Aurélien Gabrielli) à la chevelure bleue, lequel n’a commis pour erreur que d’avouer ne pas être gentilhomme. Le patriarcat dans toute sa noblesse va s’exprimer mais être contré par un exercice supplémentaire de supercherie faisant appel à la fiction exotique d’une union possible avec l’aristocratie turque, passant par le sacre de grand Mamamouchi.
Cette comédie-ballet créée au château de Chambord en 1670, qui laisse une place finalement limitée à la musique et à la danse, se veut surtout divertissante, ce que la mise en scène de Jérôme Deschamps valorise autant qu’il est possible. La structure murale avec des pans coulissants découvrant une scène de théâtre, des panneaux surgissant pour une table de boissons, une trappe où faire glisser les gros rats capturés (lesquels sont également de la partie à Cour dans la scène de liesse finale) par des pièges sonores, le placard à balais où l’intrépide Nicole, la servante (sautillante Pauline Tricot), et la monumentale porte qui s’avance et laisse découvrir un étage supérieur où se situe une chambre dans laquelle notamment Nicole repasse avec un fer (à vapeur!).
Les trouvailles ne laissent 3 heures durant (que l’on regrette de voir entrecoupées d’un entracte) aucun moment de répit au spectateur ébahi par tant d’audaces et de surprises, notamment la pastorale qui se termine en vaisselle avec gants en plastique ou encore la scène du porcelet qui orne la table de festin en l’honneur de la marquise Dorimène (pétillantePauline Deshons), et d’où surgit comme du sac de Mary Poppins un saucisson, du jambon sous vide, des hot-dogs avec les contenants de ketchup et moutarde, et autres victuailles.
On pardonnera toutes les petites imperfections, notamment l’ouverture musicale un peu brouillonne, le jeune chef débordant peut-être un peu trop (quel affreux reproche) d’énergie au détriment de la précision de la direction musicale qu’il ne devait prendre qu’à mi-chemin des représentations à la suite de Marc Minkowski (empêché par une fracture) à la direction des Musiciens du Louvre. La suite s’avère de belle tenue et les chanteurs excellents, même si dans certaines mises en situation, leur projection est un peu faible.
On ressort du bel écrin de l’Opéra-comique, même pas étonnée de l’encombrement des rues de Paris par des poubelles débordantes, qui sont si peu de choses après toutes les étrangetés moliéresques, fredonnant quelques airs de Lully le sourire aux lèvres pour quelques temps.
© Stéphane Brion
Le Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully
Direction musicale : Théotime Langlois de Swarte
Mise en scène : Jérôme Deschamps
Assistanat à la mise en scène : Sophie Bricaire, Damien Lefèvre
Décors : Félix Deschamps
Costumes : Vanessa Sannino
Perruques : Cécile Kretschmar
Chorégraphie : Nathalie Van Parys
Lumières : François Menou
Avec : Jérôme Deschamps, Pauline Gardel, Jean-Claude Bolle Reddat,
Sébastien Boudrot, Vincent Debost, Pauline Deshons, Aurélien Gabrielli,
Guillaume Laloux, Josiane Stoleru, Pauline Tricot
Chanteuses – eurs : Sandrine Buendia, Nile Senatore, Lisandro Nesis,
Jérôme Varnier
Chef.fe de chant : Ayumi Nakagawa, Lisandro Nesis
Orchestre : Les Musiciens du Louvre
Danseurs.seuses : Anna Chirescu, Léna Pinon Lang, Artur Zakirov, Quentin Ferrari, Maya Kawatake Pinon
Durée 3h20
(avec entracte)
Les 17, 18 et du 21 au 25 mars 2023 à 20h
Les dimanches 19 et 26 à 15h
Opéra-Comique
Place Boieldieu
72002 Paris
Réservations : www.operacomique.com
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