Critiques // « Le Banquet » de Platon au Studio-Théâtre de la Comédie Française

« Le Banquet » de Platon au Studio-Théâtre de la Comédie Française

Mar 26, 2010 | Aucun commentaire sur « Le Banquet » de Platon au Studio-Théâtre de la Comédie Française

Critique de Bruno Deslot

Entre amour et philosophie

Socrate est convié à un banquet au cours duquel, il assiste à plusieurs discours tenus par les convives sur le thème de l’amour. Chacun donne à entendre sa propre version.

© Cosimo Mirco Magliocca

Le jury d’un festival a couronné la première tragédie du jeune Agathon qui, pour célébrer sa victoire, organise une grande fête le soir même, en sa demeure. Le lendemain, une réception plus intime est donnée et des personnalités importantes y sont conviées. Le vin est consommé sans modération, et les orateurs se livrent à une joute philosophique durant laquelle, chacun son tour, est invité à faire un éloge de l’amour. Débute alors, une longue nuit où l’on entend se succéder ces éloges ainsi que les discussions et multiples incidents qui interrompent le protocole. Phèdre prononce le premier discours : « Eros est un dieu, important, admirable surtout par son origine… ». Son éloge d’Eros témoigne d’une excellente connaissance de l’art oratoire et d’une remarquable maîtrise de ses règles. Mais il y a en réalité plusieurs Eros selon Pausanias qui évoque les deux Aphrodite et démontre qu’une action n’est ni belle ni laide en elle-même, c’est la façon de l’accomplir qui la rend belle. Eryximaque (dont le nom signifie : celui qui combat le hoquet) reprend la distinction des deux Eros en la rapportant à son art, la médecine. N’ayant plus le hoquet, Aristophane commence son discours en expliquant que les hommes ne se rendent pas compte du pouvoir d’Eros, sinon ils lui auraient élevé les temples les plus imposants. Chacun y va de son couplet sur l’amour, les éloges s’enchaînent comme les verres et après l’entrée bruyante du bel Alcibiade, célébrant Socrate lui-même, ce dernier offre un discours sur l’amour sensuel et l’amour « spiritualisé », sur l’amour de l’Idée et de la Beauté. Le rationalisme platonicien prend dès lors les composantes affectives de l’être humain et, au lieu de les renier, en prescrit un bon usage de manière à parvenir à l’excellence.

La théâtralité du verbe

© Cosimo Mirco Magliocca

Chef-d’oeuvre philosophique, Le Banquet de Platon (428-347 avant J-C) se révèle être d’une exceptionnelle théâtralité. Même si l’auteur s’élevait contre l’élément mimétique en développant le discours rationnel, son texte porte en germe tous les éléments exploitables du théâtre. Un banquet mis en scène avec pour figure centrale le personnage de Socrate (469-399 avant J.C), d’une grand richesse : ironiste, rationaliste, mythologue, il déploie de nombreuses facettes et finit par apparaître comme l’incarnation de la philosophie elle-même. Jacques Vincey met en abîme tout le paradoxe de ce texte qui se sert du théâtre tout en s’en défiant. Dans une mise en scène particulièrement épurée, sur un plateau plongé dans une semi-obscurité, le texte parvient au public avec une apparente simplicité. Trois cadres de scène, superposés les uns aux autres, et au milieu desquels une percée, dont la dimension rétrécie, a été ménagée, donne corps à cette joute philosophique qui prend l’allure d’un théâtre de marionnettes. Des verres à vin sont placés à l’avant de la scène, suggérant la beuverie qui conclura cette soirée, reflétant la pensée en action, le corps en exergue, le verbe en suspens. Dans Le Banquet, les paroles des personnages ne sont pas directement retranscrites et Platon ne les rapporte pas non plus en tant que narrateur. Il se sert d’un intermédiaire, Apollodore qui en fait le récit, en narrant les paroles les plus importantes qui y sont échangées. Vêtu d’un costume noir, le visage rayonnant et illuminé, Thierry Hancisse prête sa voix au conteur, commentant les frasques des uns et des autres. Il est aussi Phèdre, attestant d’une bonne érudition littéraire qu’il laisse s’échapper durant son discours, avec élégance et distinction. Sa voix grave et posée, met en regard les personnages d’Apollodore et de Socrate, pratiquant même la surenchère, comme il est explicitement dit dans le texte. Placé en fond de scène, et en bon conteur lorsqu’il incarne le personnage d’Apollodore, Thierry Hancisse fait intervenir une galerie de personnages qui donnent corps à son histoire. Serge Bagdassarian est Agathon et Aristophane, expliquant la nature de dieu avec une intelligence incroyable et faisant l’apologie du pouvoir d’Eros dans une interprétation d’Aristophane d’une finesse et d’une exaltation confondante. Il n’hésite pas à engager tout son corps pour investir le propos d’une dimension charnelle sans jamais tomber dans le ridicule, et parcourt la complexité de son discours avec un engouement délirant, fin et convaincant. Pierre-Louis Calixte au jeu trouble et saisissant, maîtrise aussi bien la personnalité raisonnable d’Eryximaque que celle, tourmentée et impulsive du bel Alcibiade dans un numéro d’acteur qui relève de la performance. Les trois comédiens s’engagent, sans concessions, dans une interprétation complice, singulière et touchante d’une galerie de personnages qui, tour à tour prennent la parole dans l’évanescence d’un moment que seul le théâtre permet de transcender.

Jacques Vincey assure une direction d’acteurs remarquable pour restituer le théâtre mental d’un Platon « qui met en scène marionnettes et bouffons qui vont cabotiner pour mettre en valeur le sérieux d’un personnage hors du commun… ». La rencontre entre un chef-d’oeuvre philosophique et une interprétation monumentale offre au public 1h30 de grand spectacle.

Le Banquet
De : Platon
Traduction : Luc Brisson
Adaptation et dramaturgie : Frédéric Vossier
Mise en scène : Jacques Vincey
Avec : Thierry Hancisse, Pierre-Louis Calixte et Serge Bagdassarian
Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy
Lumières : Marie-Christine Soma
Musique et sons : Alexandre Meyer

Du 25 mars au 9 mai 2010

Studio-Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, 75 001 Paris
www.comedie-francaise.fr

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