Critiques // « Le 20 Novembre », Cécile Cassel joue Lars Norén au Théâtre de la Madeleine

« Le 20 Novembre », Cécile Cassel joue Lars Norén au Théâtre de la Madeleine

Fév 26, 2011 | Aucun commentaire sur « Le 20 Novembre », Cécile Cassel joue Lars Norén au Théâtre de la Madeleine

Critique d’Ottavia Locchi

Sebastian Bosse est déjà sur scène. Renfermé sur lui, sur sa solitude et sa rage qui monte comme une petite bête qu’on souhaite écraser. Personnalisé par la comédienne Cécile Cassel, Sebastian nous attend pour nous raconter son drame, son mal de vivre dans cette société qui n’autorise pas la liberté. Une heure plus tard, il entrera dans son lycée ceinturé d’armes et fera feu sur les élèves et les professeurs, puis retournera son arme contre lui.


Le mal de vivre adolescent poussé à son paroxysme

L’auteur du monologue, Lars Norén, s’est directement inspiré des écrits du jeune homme publiés sur son blog, aujourd’hui fermé. Celui-ci annonçait déjà le massacre auquel il se préparait, il a longuement craché sa haine et sa douleur sur internet avant de passer à l’acte, le 21 novembre 2006 dans son lycée d’Emsdetten, en Allemagne. Il n’était pas le premier, il le savait « mais il faut pas croire que je serai le dernier ».

Dans ce monologue coup-de-poing, Lars Norén ne justifie rien : il laisse juste un espace de parole au jeune homme, qui souffrait de l’humiliation et de la violence quotidienne dans son lycée et se qualifiait de « looser ». « Tu sais combien de gosses vont à l’école tous les matins avec l’angoisse au fond du ventre ? » Un ado mal dans sa peau, qui a une clairvoyance sur une société de consommation vile, qui a une souffrance trop intense pour la taire, qui refuse d’obéir à un système qui ne lui convient pas, laisse exploser sa rage et se défend d’être un nazi. Oui, il est marginal, différent, et ne veut pas céder à la doctrine « E.F.T.R.M. École Formation Travail Retraite Mort ».
Il n’est qu’un enfant et pourtant une forme de Vérité sort de sa bouche. Quelqu’un peut-il rester de marbre devant ce grand gamin qui s’apprête à écharper sa vie ?

Rock’n’roll

Cécile Cassel est dirigée par le talentueux metteur en scène Jérémie Lippmann, remarqué récemment pour sa mise en scène de « Chien Chien »(1) (Théâtre de l’Atelier, 2010). Celui-ci a glissé un double derrière la comédienne : le guitariste The Honky Tonk Man incarne une résonance musicale du texte avec son instrument, parfois doux, parfois agressif. Comme des jumeaux, les deux personnages-calques incarnent ensemble le rebelle, ils fusionnent et lui donnent vie à travers des tons rock et dissonants. Les moments où le texte vient se greffer sur l’ambiance sonore rythmique sont forts et travaillent à une harmonie juste, sensible et frappante.
Sur un plateau en croix jaillissant sur le public, faisant penser à la fois au Sacrifié, à la fois à un immense plongeoir avant le saut dans le vide, la pièce se déroule en deux dimensions : en long et en large. Un rideau noir transparent sépare l’espace scénique de fond avec le bord du plateau, gardant ainsi le double musical dissimulé et laissant la main à des jeux d’ombres et de lumières.

Le choix de Cécile Cassel pour incarner l’adolescent était risqué. Pourquoi choisir une belle jeune femme pour incarner un adolescent torturé passionné d’armes à feu ? Le challenge est double, car il s’agit non seulement de transformer le féminin en masculin, mais aussi de réussir à exprimer une blessure sans tomber dans le cliché de l’ado-mal-dans-sa-peau. La comédienne remplit son contrat, après un combat acharné avec ce personnage qu’elle incarne durant plus d’une heure. On pourrait regretter que son corps et sa démarche trahissent un léger déhanchement typiquement féminin, malgré un travail vocal absolument remarquable. La voix est posée, transformée, presque. La rage au ventre, elle crie à un parterre de gens les mots que Sebastian n’a jamais pu sortir autrement que par écrit. Toutefois, le trop peu de résonance et ce petit rien, cette petite touche sensible qui va nous dévoiler – enfin – le fond de l’âme blessée de l’adolescent, manquent à ce jeu hargneux proposé par la comédienne. On rencontre un teen-ager d’une arrogance et d’une froideur outrée. Où est la véritable profondeur ? Un meurtre-suicide ne se commet-il pas par désespoir ?

Malgré tout, Cécile Cassel s’en tire avec une très belle performance de comédienne. Les moments où elle s’exprime en anglais sont d’une justesse saisissante. Elle nous tient, agrippe notre attention dès les premiers mots, hurle ce que nous, petits consommateurs de la société capitaliste, n’avons pas envie ni besoin d’entendre, elle nous prend à parti et Sebastian revit.

Un monologue dans le vide ?

Une interrogation subsiste, pourtant. Une question qui aurait pu être soulevée autant par l’auteur que par le metteur en scène : À qui s’adresse-t-il ? Où est-il ? Est-il est train de divaguer dans sa chambre ? Sommes-nous dans son imaginaire ? L’auteur a imaginé l’adolescent juste une heure avant qu’il ne commette l’impensable. S’interroger sur son état avant de passer à l’acte est censé, le temps est situé mais l’espace reste flou. Tout semble être une espèce d’interrogatoire, de jugement dernier avant le dénouement. Serions-nous donc ses juges ?

La pièce est  courte, percutante. Elle soulève des interrogations et donne la parole à quelqu’un qui ne l’a plus. Sur les planches du théâtre de la Madeleine, le quatuor Norén – Cassel – Lipmann – Honky Tonk Man lui donnent toute sa dimension…
Que serait-il advenu du jeune Sebastian Bosse si justement, une heure avant son attentat, il avait pu nous parler ?


  1. Voir l’article Chien chien de Fabrice Roger-Lacan ici

Le 20 Novembre
De : Lars Norén
Traduction du suédois : Katrin Ahlgren
Avec : Cécile Cassel, accompgnée de The Honky Tonk Man
Mise en scène : Jérémie Lippmann
Assistante mise en scène : Sandra Choquet
Décors et costumes : Laura Léonard
Lumières : Joël Hourbeigt
Musique : The Honky Tonk Man
Son : La Manufacture Sonore
Dramaturgie : Valérie Lanctuit

Du 11 février au 16 avril 2011

Théâtre de la Madeleine
19 rue de Surène, 75 008 Paris
www.theatremadeleine.com

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