© Fanchon Bilbille
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Il est des Avare(s) pète-sec, Louis de Funès par exemple, ou matois comme Jérôme Deschamps, il en est des tragiques, Laurent Poitrenaux dirigé par Ludovic Lagarde ou farcesque, avec la compagnie flamande STAN. La pièce culte a été jouée plus de deux mille fois par la Comédie-Française depuis sa création. Increvable le radin, il nous enterrera tous ! On réécoute à chaque fois ce texte incarné par de nouveaux acteurs, emperruqués ou pas, pour retraverser l’incroyable étude de l’obsession paranoïaque.
Clément Poirée s’y colle avec John Arnold dans le rôle-titre en vieux gamin jouisseur qui ne veut sous aucun prétexte partager ses jouets, « Quand je donne un billet de cent francs, dit-il, je donne le plus sale » en voilà un qui ne connait pas la culpabilité, tout pour bibi. L’avare ne possède pas son or, c’est son or qui le possède, papa Freud nous l’avait bien dit, l’avarice est érotique. A la Tempête, Harpagon, silhouette à la Daumier avide de chair fraîche, est vert comme un puceau.
Ce n’est peut-être pas (encore) la fin du monde mais ça ressemble quand même à une sacrée dèche quand les spectateurs arrivent dans la salle. Les comédiens, en slip pour la plupart, au propre comme au figuré, sont obligés de faire la manche dans une grande kermesse avec promesse de dons et bacs de récupération, un joyeux bastringue animé qui chauffe la salle. Couverts, chaînes de vélo, rubans, vêtements, sacs poubelles, lustre et autres objets récupérés auprès du public renaissent en accessoires de théâtre pour une mosaïque dadaïste. La pièce se joue au milieu d’un amoncellement cubiste avec des panneaux amovibles qui déplacent les penderies ouvertes sur des boîtes à secret à la Marcel Duchamp ; les comédiens slaloment entre les tiroirs de cette vaste friperie tels des diablotins underground munis de torches bricolées avec de vieilles ampoules.
Clément Poiré ouvre la saison de la Tempête sous le signe de la fête, la création se joue des vaches maigres et fait feu de tout bois. Jean Baptiste Poquelin qui avouait « L’écriture ressemble à la prostitution. D’abord on écrit pour l’amour de la chose, puis pour quelques amis, et à la fin, pour de l’argent. » en savait lui-même quelque chose.
« La vraie richesse d’un spectacle c’est sa troupe », dit le metteur en scène. Certains interprètes ont une telle présence qu’on pourrait les écouter réciter le bottin. C’est le cas de John Arnold qui donne au personnage une épaisseur humaine. Persifleur, dents serrées lors des messes basses, voix de fausset ou bouillante de rage, il joue à fond les ruptures, les virages en épingle, prêchant le faux pour savoir le vrai, caressant son ennemi pour mieux l’étouffer, un Harpagon aussi comique que terrifiant, puissant mais rongé par la jalousie et le dépit amoureux. Sa silhouette bedonnante trotte menue dans son costume passe muraille et ses lazzis savoureux embarquent le public « Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. […] N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire ».
La troupe est à l’unisson, chacun sa musique. Un coup de chapeau à Laurent Menoret, un maître Jacques charpenté aux gags chaplinesques, rival d’un Nelson-Rafael Madel sexy dans le rôle de Valère. Mathilde Auneveux et Pascal Cesari, silhouettes à la Sempé, jouent du contraste avec leur tyran domestique. Anne Elodie Sorlin campe une mère maquerelle complice avec les spectateurs.
Le final sur un air de Frédéric François « est ce que tu es seule ce soir, est ce que ton cœur a envie de me voir ? Même si la vie nous sépare, tu sais bien, j’ai le droit de savoir », avec un vieux barbon poussant la chansonnette est hilarant autant que pathétique. On n’est jamais ridicule quand on souffre, Harpagon, tel un Père Ubu juché sur son piédestal, trône en majesté avant d’être remisé dans un coin comme une vieille savate usagée.
On remet le couvert chaque soir avec des frusques différentes, prétextes à de nouvelles improvisations. Imaginons qu’un soir la collecte ramène un canari ! Merci aux artistes et aux artisans de la Tempête qui font le pari d’un art pauvre pour un spectacle inventif, follement drôle et intelligent.
© Fanchon Bilbille
L’Avare de Molière
Mise en scène : Clément Poirée
Collaboration à la mise en scène : Pauline Labib-Lamour
Scénographie, accessoires : Erwan Creff
Lumières : Guillaume Tesson
Costumes : Hanna Sjödin
Musique, son : Stéphanie Gibert
Maquillage, perruques : Pauline Bry-Martin
Avec : John Arnold, Mathilde Auneveux, Pascal Cesari, Virgil Leclaire, Nelson-Rafaell Madel, Laurent Ménoret, Marie Razafindrakoto, Anne-Élodie Sorlin
Durée : 2h20
Jusqu’au 20 octobre au Théâtre de la Tempête, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du Champ-de Manœuvre
Paris 75012
Réservation : 01 43 28 36 36
Tournée :
04 et 05 novembre 2024 : Flers (61)
06 et 07 novembre 2024 : Communauté d’agglomération Mont Saint Michel Normandie, Avranches (50)
08 novembre 2024 : Théâtre de l’éclat, Pont-Audemer (27)
21 et 22 novembre 2024 : Théâtre de Sartrouville (78)
26 et 27 novembre 2024 : L’Hectare, Vendôme (41)
29 novembre 2024 : Le Splendid, Saint-Quentin (2)
03 décembre 2024 : Les Théâtres de Maisons-Alfort (94)
06 décembre 2024 : Les Passerelles, Pontault-Combault (77)
10 et 14 décembre 2024 : Théâtre de la Manufacture, Nancy (54)
16 décembre 2024 : Transversales, Verdun (55)
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