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Lampedusa Snow, de Lina Prosa, par Eleonora Romeo, Théâtre des Carmes, Festival d’Avignon (Off)

Juil 22, 2021 | Commentaires fermés sur Lampedusa Snow, de Lina Prosa, par Eleonora Romeo, Théâtre des Carmes, Festival d’Avignon (Off)

 

© Barbara Buchmann

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Eleonora Romeo continue pour la deuxième édition consécutive du Festival Off à travailler sur la Trilogie du naufrage de Lina Prosa, à savoir en présentant cette année Lampedusa Snow après Lampedusa Beach il y a deux ans.

Lampedusa Snow est sans doute la pièce la plus ancrée dans la réalité des trois composantes du triptyque de la dramaturge sicilienne, probablement parce qu’elle est tirée d’une histoire réelle, aussi incroyable que cela soit. Quand la réalité dépasse la fiction… En effet, quand elle écrivait sur la catastrophe migratoire à Lampedusa, à une époque où les médias s’y intéressaient peu, Lina Prosa tomba sur une dépêche dans un quotidien italien informant du déplacement d’un certain nombre de demandeurs d’asile dans les Alpes obériques. Pour la plupart africains, une centaine d’entre eux qui avaient survécu à l’éprouvante traversée de la Méditerranée fut ainsi transférée de l’étouffante île sicilienne aux glaçants sommets alpins, à 1 800 mètres d’altitude, en attendant l’instruction de leurs dossiers, c’est-à-dire de long mois durant.

Si la question bien réaliste du droit d’asile n’est pas évitée, et même nombre de ses limites dénoncées et travers soulignés (l’artificielle nécessité de prouver avoir été persécuté – « Chacun à sa manière est un persécuté » ou avoir une guerre derrière soi), ce n’est pas l’essentiel – ou en tout cas pas suffisant pour Lina Prosa, dont l’une des constantes est de travailler sur le corps, et plus particulièrement dans cette trilogie (surtout dans ses deux premiers volets) sur la respiration. Shauba, l’Afffrrricaine, prenait ainsi de grandes inspirations (physiologico-poétiques) dans Lampedusa Beach pour conter sa traversée, son propre naufrage et descente dans les profondeurs de cette mer(e) qui l’a avalée.

Eleonora Romeo a bien compris cette nécessité et continuité du travail à proprement parler physique sur le souffle à opérer pour respecter l’esprit « prosaien ».

Pour Lampedusa Snow, la metteure en scène y a ajouté un travail sur la matière, qui passe d’abord par l’audition, qui n’est pas seulement celle de la musique originale (belle et adaptée aux choix scéniques d’Eleonora Romeo) de Jamespange et Eric Craviatto. Dans le noir du début du spectacle, ce sont des sons étranges qui arrivent jusqu’aux spectateurs, des bruissements, des craquements. La neige qui crisse sous les pieds, sous l’effet de la marche. Le comédien (blanc) tout de noir vêtu tranche sur le plateau immaculé. Un tapis blanc, un réfrigérateur blanc, une chaise blanche, des néons à la lumière blanche criarde, et des glaçons sur tout le pourtour qui offrent leur scintillement translucide. Le spectateur frissonne.

Mohamed, « ingénieur en électromécanique », s’agite, frappe l’air de ses bras comme un boxeur dont il a les attributs (muscles et bandages aux mains), comme pour mieux se réchauffer avant d’avoir froid, comme pour mieux faire travailler son rythme cardiaque avant de ressentir les difficultés respiratoires dues au manque d’oxygène, afin de mieux prouver son agilité et son aisance corporelle avant de ressentir les maux de tête et les difficultés de se mouvoir dues à l’altitude, avant d’être littéralement glacé des pieds à la tête (qu’il arrose de glace pilée) et de sombrer, en s’écroulant lentement dans un ralenti précisément chorégraphié et remarquablement exécuté, celui de l’éléphant, figure animale allégorique utilisée à plusieurs reprises dans la pièce. Cette dernière scène du pachyderme qui « laisse un trou béant dans la neige » confirme l’excellence du comédien Fabrice Lebert dont la diction est à applaudir, et la présence et performance physique à admirer.

Le choc est saisissant à la sortie du joli théâtre du fils du fondateur du Off, Christian Benedetto, après ce tableau d’une agonie crépusculaire. Difficile de redevenir léger sous les arbres et la brise de la place des Carmes après un tel drame au sommet… C’est sans doute le meilleur compliment que l’on puisse faire à Lina Prosa, Eleonora Romeo et Fabrice Lebert, celui de nous avoir fait vivre une vraie émotion théâtrale.

 

© Barbara Buchmann

 

 

Lampedusa Snow de Lina Prosa

Avec : Fabrice Lebert

Mise en scène : Eleonora Romeo

Voix off : Quinzio Quiescenti

Musiques originales : Jamespange et Eric Craviatto

Scénographie/lumières : Damien Gandolfo et Franck Michallet

Photographie : Johann Fournier

 

Durée 1 h 10

Jusqu’au 25 juillet à 12 h 35

 

 

Festival d’Avignon – Off

 

Théâtre des Carmes

6 Place des Carmes

84 000 Avignon

www.theatredescarmes.com

 

 

 

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