© Jan Versweyveld
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Fenêtre sur une tragédie devant laquelle, comme me chuchote mon voisin, mon candide, nous sommes les témoins impuissants. Derrière cette vitre qui nous sépare de la scène une longue plainte déchire cette chambre incandescente où il n’y a plus que cendres. Là, dans cet espace clos et désespérément, étrangement vide, leggins et pull arborant, cruelle ironie, un couple enlacé, Mickey et Minnie, une femme dévastée hurle sa douleur et sa défaite, son abandon. Longue conversation téléphonique trouée, déchirée de silence, réponse de l’amant à l’autre bout du fil, qui renvoie cette femme broyée à sa solitude définitive. « La scène est une chambre de meurtre » écrit Jean Cocteau et c’est bien à une mise à mort à laquelle nous assistons, une agonie malgré le déni farouche et crâne d’une douleur devenue insurmontable. Bientôt aux paroles, aux cris, aux rires, aux pleurs, au silence succède le néant, une fenêtre ouverte sur le vide béant. Ivo Van Hove met en scène La voix humaine dans un dépouillement total, une mise à nu de cette tragédie et de la douleur portée par Halina Reijn, écorchée âprement de façon magistrale. Séparée de nous par cette vitre qui l’enferme définitivement dans une souffrance niée, elle va et vient, disparaît parfois, ne nous parvient alors que la voix, revient, se cogne au mur, à cette vitre, à ce téléphone, au vide, au silence. C’est un maelstrom étourdissant, vertigineux de sensations, de sentiments infimes ou explosifs, contradictoires toujours, qui traversent, envahissent, engloutissent Halina Reijn, cette femme qui se débat sans espoir pour ne pas tomber avant la chute fatale. Ivo Van Hove se refuse à la théâtralité. Il y a quelque chose de naturaliste dans ce dépouillement volontairement aride et juste qui apporte une efficace modernité, du moins une intemporalité parce que ces sentiments-là, universels et partagés, traversent le temps et les êtres. Un regard quasi cinématographique, aigu, déterminé par cette fenêtre comme un vaste écran. Et qui vous met à juste distance, voyeurs involontaires et témoins désarmés, comme la froideur apparente de cette mise en scène sans effet dramatique appuyé. Une direction d’acteur millimétrée et sans couture apparente, un engagement du corps de l’actrice sans concession, une mise en scène sèche et méticuleuse comme une autopsie, une dissection froide, nerfs après nerfs, pour atteindre le cœur même de la souffrance d’une rupture amoureuse. Débarrassé de tout artifice, de toute temporalité le texte de Jean Cocteau portée par la voix de Halina Reijn, tout en rupture, épousant les méandres convulsés d’une passion dévorante qui se refuse à mourir, résonne, assourdissant, dans cette espace vide devenu chambre d’échos d’une douleur à laquelle ne répond que le silence au bout du fil. Bouleversant.
© Jan Versweyveld
Un silence bientôt comblé. Ramsey Nasr, auteur et comédien, membre du Tonnelgroep, s’est interrogé sur ce silence troublant. Ce que dit l’homme au bout du fil, la réalité de cette passion, la version de cet amant. Contrepoint au texte de Jean Cocteau, mise en scène de Ivo Von Hove, The other voice sera donné au même Théâtre de la Ville, à l’Espace Cardin, du 13 au 16 novembre. Nous y reviendrons.
© Jan Versweyveld
La voix humaine de Jean Cocteau
Mise en scène de Ivo Von Hove
Traduction de Halina Reijn & Peter Van Kraaij
Dramaturgie Peter Van Kraaij
Scénographie et lumières Jan Versweyveld
Assistant scénographe Pascal Leboucq
Casting Hans Kemna
Costumes Wim Van Vliet
Avec Halina Reijn
Du 5 au 9 novembre 2018 à 20h00
Théâtre de la Ville – Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
comment closed