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La Vegetariana, d’après le roman d’Han Kang, mise en scène de Daria Deflorian, Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier / Festival d’Automne

Nov 12, 2024 | Commentaires fermés sur La Vegetariana, d’après le roman d’Han Kang, mise en scène de Daria Deflorian, Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier / Festival d’Automne

 

© Andrea Pizzalis

ff article de Denis Sanglard

 Un jour, un matin tôt précisément, Yonghye vide de son frigo toute la viande qu’il contient, toute protéine animale, œufs et lait compris, à la stupéfaction de son mari, de son incompréhension. Yonghye devient végétarienne, développant une aversion pour la viande, un véritable phobie. Jusqu’à se refuser à son mari, l’odeur de sa chair lui devenant insupportable. Ce qui confine bientôt à la folie provoque dans son couple, puis dans sa famille, sa sœur et son beau-frère, un véritable séisme. Un gouffre existentiel s’ouvre en chacun, une remise en question de leur relation, devant ce qui semble être inexplicable et irréversible dans l’attitude de Yonghye, les entraînant à leur tour aux confins d’eux même et de leur propre névrose.

Adaptation du livre La végétarienne d’Han Kang, autrice et prix Nobel de littérature 2024, c’est du théâtre-récit, entre monologue et (rares) dialogues. Trois parties avec pour titre une couleur (Rouge, bleu et vert), trois regards, trois récits se succédant. Le mari, le beau-frère et la sœur qui chacun leur tour raconte cette confrontation avec la folie de Yonghye. Trois récit se complétant pour tenter de dresser un portrait de cette femme qui lentement s’enfonce dans la psychose, à ne plus vouloir être rien qu’un végétal. Mais qui révèle aussi leurs propres angoisses, ce qu’il peut y avoir de borderline en eux malgré leur normalité affirmé ou par cette normalité même. La force de ce récit, comme de la mise en scène, est qu’il n’ait donné aucune explication à ce qui arrive, que le mystère demeure entier devant cette lente dérive névrotique de Yonghye, de plus en plus mutique et que chaque parole qu’elle délivre ne donne aucunement la clef de cette métamorphose, où faire le poirier à l’asile où sa sœur l’a conduite n’est que la volonté ferme de devenir un arbre

L’intelligence de la mise en scène de Daria Deflorian est de respecter la banalité de ces existences, de s’effacer devant ce quotidien morne pour laisser toute la place au texte, à son contenu et à ce qu’il provoque. Dans ce décor volontairement tristouille et dépouillé, entre cuisine et salle de bain, la mise en scène semble donc s’effacer, se diluer dans ce quotidien sans aspérité. En se refusant au spectaculaire, à l’esbrouffe démonstrative, la forme épousant magistralement le fond, en s’appuyant sur l’ordinaire d’une existence comme évidée de tout, d’une banalité presque effrayante, à l’image de l’espace vide qui contient, enserre les personnages, lentement s’engouffre un malaise de plus en plus prégnant. Nul éclat de voix pourtant, tout est dit mezza-voce, un ton quasi monocorde au risque de l’ennui, et pourtant on reste vite accroché à ces récits se succédant, à ces dialogues parcimonieux, elliptiques, parce ce que ce qui se dit là jusque dans les silences assourdissants, envahit le moindre espace. Tout comme la folie de Yonghye débordant du cadre de la scène finit par atteindre le public. C’est la réussite de cette mise en scène épurée à l’os, de faire le plein avec le vide.

Yonghye est un mystère et le reste, sur lequel chacun se fracasse. Monica Piseddu n’offre dans ce rôle aucune prise. Son personnage de femme sans qualité aucune (« la plus ordinaire du monde » déclare son mari en préambule) s’enfonçant dans la folie est rendu avec une justesse sans recourir aux clichés du genre. Elle pose les choses comme allant de soi sans qu’il y ait d’explication à donner, à chercher sinon contenue dans cette phrase anodine « J’ai fait un rêve ».  Cette simple phrase est pourtant une mèche lente qui fait tout exploser. Sans être distancié de son personnage, bien au contraire, elle lui donne une normalité qui rend plus étrange encore cette attitude incompréhensible à tous jusque dans cette volonté de métamorphose.

Et c’est le sceau de cette mise en scène, faussement littéral, faussement banale et modeste, d’avancer ainsi en loucedé et de vous tenir fermement sans jamais vous lâcher, de nous plonger lentement non pas tant dans la folie de Yonghye mais dans celle ordinaire et bien plus inquiétante, sinon violente, de son entourage. Devenir un arbre, racine vers le ciel, n’est-ce pas alors au final se protéger avec raison de cette brutalité normative ?

 

© Andrea Pizzalis

 

La Vegetariana, scène d’après le roman d’Han Kang

Mise en scène : Daria Deflorian

Adaptation : Daria Deflorian, Francesca Marciano

Espace : Daniele Spano

Lumière : Giulia Pastore

Son : Emanuele Pontecorvo

Costumes : Metella Raboni

Collaboration artistique à la réalisation de la scénographie : Lisetta Buccellato

Collaboration au projet : Attilio Scarpellini

 

Co-création et interprétation : Daria Deflorian, Paolo Musio, Monica Piseddu, Gabriele Portoghese

 

Du 8 au 16 novembre 2024

Durée 2h

 

Odéon / Ateliers Berthier

1 rue André Suarès

75017 Paris

 

Réservations : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

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