© Axelle de Russé
ƒƒ article de Hoël Le Corre
Ils accourent, se bousculent, ricanent, fanfaronnent, se provoquent, prennent la place, au point d’enjamber le public, escalader le décor, écrire leurs noms sur les murs. Ils prennent toute la place, marquent leur territoire. Cette débauche d’énergie marque le début de la pièce, et d’entrée, nous sommes plongés dans cet univers masculin fait de muscles, de cris, de rires, de testostérone, bref ce qu’on appelle « la virilité ». Des stéréotypes ? Oui, certainement, et la pièce en rengorgera, pour les interroger, les ébranler, peut-être qui sait, tenter de les déconstruire ?
« Ils », ce sont Moha, Alex, Junior, Natan, Tigran, Djamil, Romain et Naso. Ils ont des parcours divers, des corps tout à fait différents les uns des autres, mais ils ont un point commun : ils sont jeunes et ont tous reçu le modèle patriarcal en héritage. Mais cet héritage est remis en question, et fort heureusement, voilà que MeToo vient plus que jamais ébranler ce vieux système. Face à ces turbulences bienvenues, ces hommes, eux, viennent témoigner frontalement, intimement, de leurs désirs, leurs peurs, leurs doutes, leur éducation, leur rapport à l’amour, à l’argent, au sexe, à la réussite, autant de questions intimes et sociétales abordées sur un ton qui se veut certainement sans concession, mais reste parfois teinté d’un certain politiquement correct.
S’esquisse progressivement un état des lieux des questionnements sur la masculinité : tout un programme, qui ici prendra la forme de scènes chorales puissantes, de monologues ou dialogues marqués du sceau de la sincérité, ou encore de tableaux dansés ou chantés, faisant de La Tendresse une polyphonie ébouriffante et galvanisante. L’humour n’est jamais loin et ajoute de la fluidité à l’ensemble. Et on se souviendra sans doute longtemps de certains passages chorégraphiés aussi poétiques qu’éloquents.
On est ainsi happé par ses corps incandescents autant que par les paroles qui laissent entrevoir aussi des fragilités chez ces hommes soumis à l’injonction de virilité. Toutefois, si on ne peut qu’être admiratif de cette vitalité et de l’engagement physique et émotionnel des comédiens, le texte qui déploie les éventails de la masculinité se heurte parfois à son propre écueil : il semble enfermer les hommes dans une obligation de choisir entre être avec ou contre, et il les opposent quasi systématiquement aux femmes, et les désarrois de ces hommes face à la libération de la parole des femmes font parfois ressortir des pointes de misogynie, à peine remises en question. Même les hommages faits aux femmes mettent dos à dos les deux sexes sans chercher à déconstruire réellement un système clivant. On aurait adoré que cette forme percutante et cette énergie vitale soit aussi mise au service de pistes pour un futur moins stéréotypé et moins violent certes à l’égard des hommes, mais aussi et surtout à l’égard des femmes. La Tendresse n’en reste pas moins un bel objet théâtral, à découvrir plus pour la performance des interprètes que pour la pertinence du propos.
© Axelle de Russé
La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès
Écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter
Avec : Bboy Junior, Natan Bouzy, Alexandre Liberati, Djamil Mohamed, Sacha Négrevergne, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki
En alternance avec Marin Delavaud du Ballet de l’Opéra national du Rhin, Léopold Faurisson, Bel Abbes Fezazi, Saïd Ghanem, Guillaume Jacquemont, Tigran Mekhitarian, Mathis Roche
Chorégraphie : Jessica Noita
Référentes artistiques : Alice Gozlan et Béatrice Chéramy
Création lumière : Kélig Le Bars assistée par Mathilde Domarle
Création son et musique : Colombine Jacquemont
Assistant à la composition : Martin Leterme
Scénographie : Goury
Création costumes : Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot
Régie générale création : Quentin Maudet
Régie générale tournée : Alexis Poillot
Régie plateau création : Dylan Plainchamp
Régie plateau tournée : Amina Rezig, Matthieu Maury et Florian Caraby
Régie son : Antoine Frech en alternance avec Colombine Jacquemont
Régie lumière : Henri Coueignoux
À partir du 25 avril 2025
Du mercredi au vendredi à 20h
Samedi à 20h30 et dimanche à 16h
Mardi à 20h à partir du 10 juin
Relâches le 1er mai et du 14 au 23 mai 2025
Durée : 1h45
Théâtre des Bouffes Parisiens
4 rue Monsigny
75002 Paris
T+01 42 96 92 32
www.portestmartin.com
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