© Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Hoël Le Corre

« Derrière chaque grand homme se cache une femme », l’adage est bien connu et rappelle que les figures masculines de l’histoire n’auraient certainement pas pu accomplir leurs œuvres, qu’elles soient politiques, artistiques, scientifiques ou autres, sans le soutien et la présence, dans l’ombre, d’une ou plusieurs femmes. Et si, non content d’avoir relégué les femmes à l’arrière plan, le patriarcat avait aussi invisibilisé les femmes qui auraient pu se tenir « à côté » des hommes, comme leurs égales en intelligence, en volonté, en créativité, en pugnacité ?

C’est tout le propos de l’essai « Un lieu à soi », basé sur les conférences dispensées par Virginia Woolf en 1929. Et dès l’ouverture de La Sœur de Shakespeare, la voix posée de la comédienne Inès Amoura fait raisonner les mots de Virginia, sous forme de questions directement adressées au public : pourquoi un sexe est-il si prospère quand l’autre est si pauvre ? Quelles sont les conséquences de ces inégalités de traitement sur les ambitions, le travail, la reconnaissance des femmes artistes ? Le spectacle s’ouvre ainsi sur une quête : les recherches de Virginia pour tenter d’explorer ces questions prennent vie sous nos yeux, en direct. On se retrouve, comme elle, devant l’immensité d’une bibliothèque où les ouvrages sur les femmes sont principalement rédigés par… des hommes. Puisqu’il faudra s’en contenter, alors Virginia décide de se référer à l’historien, qui relate le plus objectivement les faits, puis il lui faudra bien déployer ses propres pensées, pour combler les vides…

Un discours féministe fin et documenté se déploie alors sur scène, et grâce au magnétisme et à la finesse du jeu d’Inès Amoura, on entend les mots de Virginia Woolf comme jamais. Ils viennent agiter nos esprits, titiller nos émotions et chatouiller nos zygomatiques. Et puisqu’un discours n’est jamais aussi convaincant qu’étayé par des preuves, naît progressivement la figure qui nous servira d’exemple : la sœur de Shakespeare. Incarnée par la charismatique Solenn Goix, Judith Shakespeare, pure création sortie de l’imagination de Virginia Woolf, apparaît comme un double de son talentueux frère. Toute aussi douée que lui, se rêvant elle aussi dramaturge comédienne, poète, elle se heurtera, contrairement à lui, à toutes les injonctions, tous les obstacles, toutes les peurs d’une société patriarcale. Tel un Pinocchio, il lui faudra passer de la fiction à la réalité pour s’émanciper et vivre son rêve et elle pourra compter dans son parcours, sur sa créatrice, Virginia. Les spectateurs se régalent devant cette vie fantasmée, on vibre avec elle, on espère avec elle, bref, on s’y attache comme à une sœur.

Dans une mise en scène d’une intelligence créative lumineuse, Juliette Marie enchevêtre de manière subtile les vies de ces deux héroïnes, qui se rencontrent à travers les siècles. Les époques se répondent et viennent évidemment faire écho à la nôtre. Le duo complice a la tendresse et la vigueur de la sororité. L’interprétation précise et délicate est un délice, et vient rendre un bel hommage aux femmes artistes, à toutes celles qui se sont battues, à toutes celles qui n’ont jamais pu exister, à toutes celles qui avaient tout en elles pour créer, à toutes celles qui se fraient un chemin à travers un système qui les assigne encore et toujours à des seconds rôles. Heureusement, il existe de ces tremplins qui leur donne de la voix et des ailes : le Théâtre La Flèche en est un, et au vu des applaudissements d’un public nombreux et chaleureux, on ne peut que souhaiter vivement que cette Sœur de Shakespeare continue sur cette lancée !

© Christophe Raynaud de Lage

La Sœur de Shakespeare, de Juliette Marie d’après Virginia Woolf

Compagnie Reme

Mise en scène : Juliette Marie

Avec : Inès Amoura et Solenn Goix

Collaboration artistique : Sarajeanne Drillaud

Collaboration à l’écriture : Inès Amoura et Solenn Goix

Composition originale : Inès Amoura

Conseils lumières : Janfi Viguié

Travail sonore : Tom Ménigault

Remerciements : Aude Denis, Maxime Coulbeaux, Elsa Depardieu

Soutiens : L’EMS – École de mise en scène, Théâtre Silvia Monfort, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val de Marne, Artagon Pantin, Bastide de l’Estré, Commune d’Indre, SPEDIDAM, Studio Beau Labo Montreuil.

Durée 1h05

Jusqu’au samedi 7 juin 2025

Les samedis à 19h

Théâtre la Flèche

77 rue de Charonne

75011 Paris

Réservations : info@theatrelafleche.fr ou 01 40 09 70 40 

www.theatrelafleche.fr

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