© Camille Lemonnier
fff article de Denis Sanglard
Molière, sa vie, son œuvre racontées par les Estivants c’est un grand bonheur qui ne se refuse pas. C’est du théâtre de foire, de tréteaux, bricolé avec trois fois rien, bouts de ficelles et de chandelles, ce qui est beaucoup, ce qui est bien. Elles sont cinq sur ce plateau minuscule, le plus souvent à coté, parfois dans le public, à dérouler cahin-caha la vie de Jean Baptiste Poquelin, morceaux épars éparpillés entre faits historiques, considérations personnelles, digressions et apartés voire brainstorming autour d’une bière. Pas plus historienne et biographe que vous et moi, c’est Le roman de Molière d’à-peu-près Boulgakov, revu et corrigé donc par Johana Giacardi qui de l’art du décalage surréaliste et du collage fantaisiste fait son miel et notre joie. Ariane Mnouchkine qui n’est pas dans le spectacle, est-il précisé en préambule, a du mouron à se faire, la concurrence est ici sévère dans l’évocation de notre monument littéraire national. Ces cinq comédiennes, de vraies clownesses et comédiennes accomplies dans l’art de la composition génialement foutraque, vous embarquent fissa sur le chariot de Thespis que fut l’Illustre théâtre, en font une épopée burlesque et démontrent avec éclat la magie du théâtre, cet art de l’illusion où avec rien, ou quasi, tout un monde surgit d’un récit incarné avec maestria et mené tambour battant. Costumes improbables, maquillage à la truelle, perruques en bataille, quelques chaises de camping pour décor, matériel et bric-à-brac emprunté ou donné est-il précisé, c’est un théâtre pauvre, non ébarbé mais riche de sa vérité sans fard, fragile, ce qui est sa force, où tout se fait et défait à vue et qui emporte le public, engagé lui aussi et de bon cœur dans cette aventure rocambolesque et farfelue mais loin d’être une histoire coquecigrue. C’est fort drôle, bourré d’inventions saugrenues et d’idée incongrues, de poésie inattendue surgissant au débotté, d’émotion même et qui vous prend à revers. On y croise aussi, entre-autre, Cyrano de Bergerac, le vrai, pas le personnage fantasque de Rostand mais le poète lunaire qui ne fut jamais gascon à qui Molière emprunta sa galère et auquel un bel hommage est rendu ici. La lune lui est enfin offerte qui conclut cette création faussement de guingois, rondement mené et qui confine dans cet à-peu-près potache considéré comme allant de soi au génie parce que l’essence du Théâtre est là et bien là et sans forfanterie. Et subtilement, par effraction, Le siècle de Molière est traversé par le nôtre, un carambolage ténu où en filigrane la condition de l’artiste d’aujourd’hui est posée quand le succès n’est pas au rendez-vous, les recettes à la peine, les fournisseurs à payer et les critiques assassines ( pour ces dernières, l’émission incontournable et culte Le masque et la plume est avec malice détournée, un montage hilarant d’une critique plus que vacharde pour une pièce de Molière dont le titre n’est pas donné pour une création qui n’a jamais eu lieu et pour laquelle nous recherchions en vain la référence…). Quoi de neuf ? Molière ! déclarait Sacha Guitry. Piquons-lui éhontément cette réplique, elle va si bien à cette création généreuse et réussie en sa folie où souffle l’esprit frondeur et farcesque de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière à qui nous devions bien cette minute de silence demandée à la toute fin, debout et petit lumignon à la main.
La saga Molière, écriture et mise en scène de Johana Giacardi
Avec : Anne-Sophie Derouet, Nais Desiles, Johana Giacardi, Edith Mailaender, Olivia oukil
Création lumière : Lola Delelo
Création sonore : Julette Sebesi
Décors et accessoires : Camille Lemonnier
Assistée de : Valentine Basse, Julie Cardile, et Edith Mailaender
Création costumes : Albane Roche-Michoudet, Nais Desiles, Johana Giacardi, Camille Lemonnier
Vu le 11 juillet 2024
Lycée Jacques Decour
12 avenue Trudaine
75009 Paris
Tournée 2025 :
8 ET 9 MARS : THÉÂTRE LOUIS ARAGON, TREMBLAY-EN- FRANCE
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