Critiques // « La Ronde du Carré » de Dimitris Dimitriàdis à l’Odéon

« La Ronde du Carré » de Dimitris Dimitriàdis à l’Odéon

Mai 15, 2010 | Aucun commentaire sur « La Ronde du Carré » de Dimitris Dimitriàdis à l’Odéon

Critique de Bruno Deslot

Une géométrie de l’impossible

Après le succès de Gertrude d’Howard Barker, créée l’année dernière à l’Odéon, Corsetti s’entoure de la plupart des comédiens qui avaient fait partie de l’aventure, plusieurs fois distinguées, pour s’approprier une géométrie complexe et singulière : celle de La Ronde du carré.

Vivant en apparence des événements d’une extrême banalité, des histoires d’amour, d’un amour en crise, onze personnages observent le développement tragique de leur histoire. Vengeance, passion, trahison, désespoir, jalousie…composent une palette de couleurs vives pour esquisser une géométrie des pulsions sur le tableau noir d’une problématique de la fatalité.

Après deux ans d’absence, pendant lesquels Verte a touché à peu près à tout, elle retrouve Vert, prête à accepter le pire pourvu qu’elle reste avec ses enfants et celui qui deviendra son bourreau. La femme de ménage, la caissière de supermarché, la putain, la fille au père…repentante et rongée par le remord, Verte avoue, reconnaît afin que Vert la reprenne et peu importe les conditions. Dès lors, Vert annonce à Verte que sa vie sera une punition. Un problème de couple que rencontre Ciel et Cielle, donne lieu à une consultation auprès de Noir qui tente de comprendre l’enjeu de la situation face à l’homme muselé par une compagne aussi affamée qu’angoissée pour qui le lit ne semble pas être une priorité et pourtant ! Une prise de conscience, le sentiment d’une lutte vouée à l’échec, d’un aveuglement, d’un gâchis et Violette annonce à Violet qu’elle va le quitter pour Gris, son meilleur ami. Incarnation du fantasme, omniprésence du désir suscité par l’absence d’un corps vénéré, Bleu s’offre en partage à Jaune et Rouge qui se demandent lequel des deux il aime le plus !

L’éternel recommencement

Dans un style à la fois épuré et trivial, le texte oscille entre expansion et réduction, variation et fluctuation, masquant, dans une puissance dramatique de l’indicible, les profondes contradictions et paradoxes des personnages dont il est question. Il révèle par un mouvement circulaire, la complexité des situations qui s’enchaînent selon un mécanisme puissant et captivant. Dans ce labyrinthe des passions, les personnages sont désignés par de simples noms de couleur. Ils forment quatre groupes, chacun isolé dans la ronde aliénante d’une unité qui fait corps avec l’oxymore auquel l’auteur recourt pour nommer son oeuvre : La Ronde du carré. Tout paraît figé, définitivement ancré dans l’inéluctable fatalité et pourtant, l’ensemble se mue par une extraordinaire fluidité, celle de la réitération inscrite dans des variations obsessionnelles, accordant à la proposition une force en continuelle expansion et apparaissant comme difficile à contenir, à confiner !

La figure géométrique stable du carré s’oppose au mouvement circulaire de la ronde dans lequel les personnages sont happés malgré eux, selon la logique d’une réitération dégénérescente. Allant de l’expansion vers la réduction, de l’inépuisable inachèvement d’une partition aux multiples variations, Giorgio Barberio Corsetti, exploite l’espace scénique avec toute l’intelligence que nécessite un texte aussi complexe que celui de La Ronde du carré. Un plateau nu et sombre, rehaussé d’une lumière s’opposant à toute forme de linéarité, accueille des panneaux suspendus qui organisent, de manière géométrique, l’espace cloisonné dans lequel les personnages évoluent. Faisant honneur au bel oxymore que l’auteur utilise pour nommer son propos, le metteur en scène oppose des formes rondes et carrées pour tenter de contenir la répétition obsessionnelle des scènes s’achevant dans un chaos illuminé de quelques lettres de l’alphabet qui composent le mot « continue ». La quadrature du carré est mise à mal par ce mouvement circulaire qui entraîne les personnages dans l’inéluctable répétition de leur destinée. Légèrement voûtée, déjà presque soumise à sa future condition, Verte se place face à Vert qui après quelques explications se retranche derrière une paroi souple et opaque qui ne laisse passer que le son de la voix et épouse la forme des mains et du visage de Vert qui semble bien loin. Un bureau, placé au milieu de la scène, sépare et oppose à la fois Ciel et Cielle qui tente de résoudre leur problème de couple par l’intermédiaire de Noir, au rôle de médiateur/révélateur. Une table de massage à l’avant de la scène, un panneau, en fond de scène, dans lequel trois entrées sont ménagées, et voici que Jaune et Rouge échangent, dans un grand moment d’excitation, leurs désirs d’exclusivité avec le jeune amant dont ils se partagent les faveurs. Un lit mobile, constitue le lieu de désaccord du couple en crise, dont le meilleur ami est à l’origine. Les situations s’installent dans un décor de l’éphémère qui se transforme à chaque tour de ronde, redéfinissant le diamètre d’un cercle qui prend bientôt des allures coniques, à l’image de ce texte, dont la construction en entonnoir, provoque un goulet d’étranglement vers la fin de la pièce lorsque les personnages se retrouvent acculés à un plan incliné le long duquel ils tentent de remonter pour toujours mieux redescendre à l’image de Sisyphe. Finesse et élégance des couleurs, précision des lignes très géométriques qu’utilisent Christian Taraborrelli pour son décor, tout est en mouvement, inscrit dans une instabilité mouvante, une incertitude affirmée que relaient les comédiens par un jeu sobre et juste. Toutefois, la première partie prend rapidement des allures de boulevard et joue un peu trop la carte du grotesque, tirant le trait jusqu’à faire de Jaune et Rouge, deux folles tordues aux contorsions inutiles. De fait, la tension dramatique perd en crédibilité ce qu’elle retrouve à la fin en justesse et quête obsessionnelle d’un éternel recommencement, sans doute est-ce le principe de la ronde selon Corsetti. La première partie s’essouffle donc rapidement, malgré la justesse et le talent des comédiens qui sortent de leur cellule pour toujours mieux expier leurs peines. Anne Alvaro, magistrale et confondante malgré un rôle discret, incarne avec une sensibilité bouleversante sa soumission à l’autre, son renoncement. Laurent Pigeonnat brûle d’érotisme et de vraisemblance et interprète Rouge et Gris avec un enthousiasme débordant. Dommage, qu’il ait a versé dans la caricature pour son personnage de Rouge ! Il n’en a pas besoin ! Le corps de Julien Allouf, exposé nu, incarnant l’image christique du sacrifice est touchant de vérité dans son jeu, tout comme Cécile Bournay qui, avec cette belle énergie garde la tête froide et impose un jeu déterminé. L’ensemble des comédiens relève un pari délicat avec talent malgré quelques maladresses de mise en scène et de directions d’acteurs, mais cette création demeure une belle expérience esthétique et scénique indéniable.

La Ronde du Carré
De : Dimitris Dimitriadis
Mise en scène : Giorgio Barberio Corsetti
Décor et costumes : Christian Taraborrelli
Musique : Gianfranco Tedeschi
Son : Jean-Philippe François
Lumière : Jauffré Thumerel
Coiffure : Annie Marandin
Avec : Julien Allouf, Anne Alvaro, Bruno Boulzaguet, Cécile Bournay, Luc-Antoine Diquéro, Maud le Grevellec, Christophe Maltot, Laurent Pigeonnat

Du 14 mai au 12 juin 2010

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon, 75 006 Paris
www.theatre-odeon.fr


Voir aussi :
La critique de Bruno Deslot à propos du livre La Ronde du Carré

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