ƒ Article de Victoria Fourel

© DR

Robert organise une soirée en l’honneur d’un aventurier, de retour d’expédition. Mais dans ce portrait d’une bourgeoisie agitée et vaine, les trahisons, et les tromperies entre drame et comédie gangrènent la fête. Adaptation du film de Jean Renoir, cette Règle du Jeu recontextualise, réécrit, filme, et met sur scène le chef d’œuvre du cinéaste.

Ce spectacle se joue sur de multiples tableaux. La caméra suit ici encore la soirée bourgeoise, d’abord sur écran géant, comme pour donner ses lettres de noblesse cinématographique à la place Colette, puis directement sur le plateau, permettant au spectateur d’avoir un œil sur tout. Les trahisons, les baisers volés, les confidences échangées. Maîtrise totale de la répartition de l’action. Malgré un petit manque d’équilibre et quelques longueurs dans les parties filmées, l’ensemble esthétique est parfait sur le plateau. Il y a tant de choses à voir et à écouter, mais le regard ne se perd jamais, scrute, et est même capable de tout suivre. Des larmes rendues invisibles par l’agitation ailleurs sur le plateau nous deviennent soudain évidentes, comme un secret partagé. Certains acteurs dévoilent bien plus qu’il n’y paraît, en une chanson, un plan filmé par la caméra ; un mot directement adressé au public. Pauline Clément, Serge Bagdassarian ou Laurent Lafitte tirent plutôt leur épingle du jeu. Le plateau de la Comédie Française est impressionnant, comme toujours, mais pour une fois, il est aussi nu, filmé à l’épaule, un peu jet set, un peu futile.

Problème. Malgré des idées fulgurantes, le tout reste assez inégal. Il semblerait que l’on veuille nous prouver que le Français sait s’amuser, donnant lieu à des longueurs pour signifier la chaleur d’une fête qui se commence, l’alcoolémie qui monte, le plaisir un peu démonstratif d’une réception où l’on se donne en spectacle. Il y a une incompréhension sur le fond. Ce côté poussif dans les images de fête nous donne du mal à saisir si ce sont les personnages qui singent et qui sont les reflets d’une caste, un entre soi qui feint de s’amuser, ou si ce sont les comédiens qui n’atteignent pas vraiment la spontanéité, la simplicité, à la fois dans le drame et dans le drôle, à la fois dans les ruptures et dans les caractères. En effet, on aime voir cette troupe et ce lieu transfigurés par la modernité : la vidéo, l’électronique, la chanson française et les chorégraphies de fin de soirée. Mais dans le même temps, on voit bien que la Comédie Française a du mal à retirer son costume. Elle peine à passer du jeu théâtral au jeu cinématographique, du gag au portrait de société, ce qui rend difficile à comprendre ce qui se joue vraiment sous nos yeux.

La technique irréprochable de la mise en scène de Christiane Jatahy est indéniable, une sorte de regard kaléidoscopique sur le groupe. Est-ce alors l’adaptation qui est imparfaite, entre deux formes et deux époques ? Ou est-ce cette recherche technique qui empêche la simplicité ? Difficile de trancher. Mais sans ennui, et avec le brouhaha d’une tragédie qui couve, il y a ici matière à rêver de nouvelles règles du jeu pour le Français.

La Règle du jeu
Texte Jean Renoir
Mise en scène Christiane Jatahy
Avec Cécile Brune, Sylvia Bergé, Eric Génovèse, Alain Lenglet, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Elsa Lepoivre, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Gilles David, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Danièle Lebrun, Jennifer Decker, Elliot Jenicot, Laurent Lafitte, Benjamin Lavernhe, Claire de la Rüe du Can, Didier Sandre, Rebecca Marder, Pauline Clément, Dominique Blanc, Julien Frison, Marina Cappe, Tristan Cottin, Ji u Jeong, Amaranta Kun, Pierre Ostoya Magnin, Axel Mandron, Marcus Borja.

Du 4 février au 15 juin 2017 à 20h30

Comédie Française – Salle Richelieu
Place Colette 75001 Paris
Métro Palais Royal Musée du Louvre
Réservation 01 44 58 15 15
www.comedie-francaise.com

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