Critiques // « La Première Gorgée de Bière » de Philippe Delerm au Rond Point

« La Première Gorgée de Bière » de Philippe Delerm au Rond Point

Mar 14, 2010 | Aucun commentaire sur « La Première Gorgée de Bière » de Philippe Delerm au Rond Point

Critique de Johann Gasnereau

Le bonheur et le plaisir de moments simples, sont partagés au théâtre du Rond Point dans une atmosphère intimiste.

On ne présente plus Philippe Delerm, romancier, nouvelliste qui, depuis plus de vingt ans, compte dans la littérature française contemporaine. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont parmi ses plus grands succès, les romans Il avait plus tous les dimanches (2000), ou encore La sieste assassinée (2001). Marc Rivière, scénariste et réalisateur de cinéma et de télévision, adapte avec la collaboration de Jean-Louis Foulquier, le recueil de nouvelles, La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, qui a permis en 1997 à son auteur d’accéder au succès. Marc Rivière signe ici sa première mise en scène au théâtre.

© Brigitte Enguerand

Du croissant aux espadrilles, le texte de Philippe Delerm, décrit avec bonheur les petits plaisirs de la vie… » C’est facile, d’écosser les petits pois. Une pression du pouce sur la fente de la gousse et elle s’ouvre, docile, offerte. Quelques-unes, moins mûres, sont plus réticentes – une incision de l’ongle de l’index permet alors de déchirer le vert, et de sentir la mouillure et la chair dense, juste sous la peau faussement parcheminée. Après, on fait glisser les boules d’un seul doigt. La dernière est si minuscule. Parfois, on a envie de la croquer. Ce n’est pas bon, un peu amer, mais frais comme la cuisine de onze heures, cuisine de l’eau froide, des légumes épluchés – tous près, contre l’évier, quelques carottes nues brillent sur un torchon, finissent de sécher. « 

Les mots, dits avec la voix de Jean-Louis Foulquier, évoquent les souvenirs, les odeurs douces d’un passé. C’est le ravissement de l’écriture.

La scène est épurée, sobre. Il fait sombre, on entre de suite dans l’intimité d’un personnage. Une musique, des notes émanant d’un violoncelle, viennent adoucir l’instant, appuyer cette promiscuité. La voix chaude, du comédien Jean-Louis Foulquier, nous emporte. Immédiatement. Ce timbre, posé, nous donne,  par touches, un ressenti, celui du bien être. Les mots, les phrases s’introduisent dans notre imaginaire collectif, s’immiscent finement. On sourit, on repense à nos vies, on revoit des images, celles qui restent gravées dans nos mémoires. Les souvenirs évoqués, ceux de l’auteur, sont les nôtres, aussi. On est comme saisi sur le vif par des plaisirs simples des moments, du vivant, dans ce qu’il a de plus banal. Il s’agit bien, là, de nostalgie.

© Brigitte Enguerand

On voit, on imagine, un geste, qui nous est raconté, un geste patient, celui de ses mains qui écossent les petits pois. La voix nous compte d’autres moments,  insignifiants, anodins, qui ponctuent une vie dont il faut apprendre à savourer la succulence.

L’écriture est belle, bien restituée par Jean-Louis Foulquier. On ferme les yeux, un instant, c’est le voyage dans le temps. Il n’y a là, ni d’amertume, ni de mélancolie. Les regrets, la tristesse n’ont pas leur place. Nous sommes dans une mémoire impressionniste et colorée où on fait appel  au discernement de chacun.

On regrettera, parfois, les adjectifs, nombreux, trop appuyés, qui nous éloignent de la voix. Marc Rivière voulant – sans doute – éviter une trahison vis-à-vis de son auteur, oublie la musicalité des respirations, des temps. Oui, car tout est écrit. On ne nous laisse guère le temps de vivre ces instants, ceux qui sont également les nôtres. Mais on ne s’échappe pas longtemps, on réintègre l’excursion. La mise en scène, purifiée de superflu, donne une certaine impression de liberté. Cela reste un va-et-vient entre l’immédiat et le souvenir.

La première  gorgée de Bière c’est la vie au quotidien, un quotidien de campagne, rural. Ça a le goût des vacances, comme  » le croissant au petit matin… » ou « aider à écosser des petits pois« , « dégustateur du journal sur un banc ». On est dans l’observation aiguisée.

A noter que les petites choses, détails infimes, plaisirs discrets qui font le sel de la vie, sont accompagnés de la musique et de la présence sensible, savoureuse, celle de la jeune et talentueuse Maëva Le Berre, qui dans un simple sourire, nous fait penser à la petite fille qui écouterait son grand-père, raconter cette vie harmonieuse.

On ne nous impose rien. On est dans un partage, simple, rare. On ressort, enthousiaste. Laissez-vous emporter.

La Première Gorgée de Bière
et autres plaisirs minuscules

De : Philippe Delerm
Mise en scène : Marc Rivière
Avec : Jean-Louis Foulquier, Maéva Le Berre (violoncelle)

Du 12 mars au 3 avril 2010

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

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