Critiques // « La Planète des Insectes », chorégraphie de Maro Akaji, Cie Dairakudakan, Maison de la Culture du Japon à Paris

« La Planète des Insectes », chorégraphie de Maro Akaji, Cie Dairakudakan, Maison de la Culture du Japon à Paris

Juin 16, 2015 | Commentaires fermés sur « La Planète des Insectes », chorégraphie de Maro Akaji, Cie Dairakudakan, Maison de la Culture du Japon à Paris

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Insect 2-3 - Chris Randle, VIDF2015© Chris Randle

C’est une ronde hypnotique, mécanique, une foule inquiétante de personnages hagards qui soudain, un bref instant fulgurant, révèle au public une étrange animalité enfouie, l’insecte qui veille en eux. Une première image glaçante. « La Planète des Insectes », dernière création de Maro Akaji, nous emmène dans l’infiniment petit, univers où grouillent les cafards et les mouches, les abeilles et les fourmis. Le monde vu d’en bas. Drôle de planète et drôle de création. Encore une fois Maro Akaji, jamais là où on l’attend, nous embarque avec facétie dans une aventure surprenante. Dans un décor futuriste de cages d’acier aux tubulures mobiles, souvenir des cages pour grillons de notre enfance, danse des corps hybrides. Une danse sauvage, violente parfois, pour la survie de l’espèce. C’est un monde où règne ordre et discipline quasi militaire, des comportements sociaux sans doute au premier abord étranges mais qui assurent la survie de l’espèce. La métamorphose des danseurs ici est stupéfiante. Tout l’art du butô concentré en quelques images singulières d’inventivité et de poésie. La force de Maro Akaji est de rester dans un registre expressionniste, brutal parfois et volontairement grotesque, « l’ero-guro » qui le caractérise tant, mais en gardant toujours une distance que détermine un humour pince-sans-rire, un kitch flamboyant assumé. Qu’il sait tout aussi bien retourner d’un coup sec pour atteindre dans le dépouillement absolu et soudain une profondeur insoupçonnée. Et quand il danse, ses bras en élytres atrophiés, vieille reine agonisante d’une étrange et grouillante fourmilière, c’est à peine s’il bouge. Quelques petits pas suffisent, un mouvement de tête maussade et c’est l’espace du plateau qui danse et tangue dangereusement, vibre de métamorphoses esquissées d’un trait nonchalant et impressionnant de gravité narquoise. C’est un butô flottant, toujours dans un entre deux où rien n’est jamais stable, toujours soumis à la métamorphoses possible, latente, qui naît soudain d’un geste ou de son épuisement. Et du souvenir. Maro Akaji danse avec ses fantômes, les traces de ses créations. Son corps est le formidable témoin et la mémoire de son histoire qui accompagne ces quelques pas et leur donnent un poids formidable. « La planète des insectes » interroge l’humain à l’aune des insectes. Monde archaïque et organisé pour la survie des espèces dont nous portons les traces tenaces sous le vernis illusoire d’une civilisation et que révèle notre déclin annoncé. Ce sont ces traces là, puisées au plus profond de chacun, que révèlent les danseurs. Leurs gestes empruntent aux vocabulaires animaliers comme extraits d’un cerveau archaïque enfoui sous des strates de civilisations passées et présentes. Quelque chose de brut, d’élémentaire, d’essentiel. Mais cette animalité là c’est peut être aussi notre avenir futur. Maro Akaji est un savant fou à l’imagination folle et débridée dont la danse rêve le mélange de nos A.D.N. Cela tient parfois du bricolage surréaliste quand surgissent sur le plateau ces étranges insectes à têtes de bouilloires. Poésie pure. Comme ces jeunes filles aux filets à papillons, prises dans leur propre piège, métamorphosées bientôt en insectes mellifiques. C’est la toute dernière image qui, en référence au premier tableau, cette ronde infernale, renverse tout et donne une conclusion terrifiante à l’ensemble. La métamorphose pour ainsi dire accomplie. Ce n’est plus vraiment le poète Bashô qui composa nombre d’Haïku animaliers, dont il était fait référence au long de cette création, mais Kafka qui, brutalement, déboule sur le plateau.

La Planète des Insectes
Direction artistique, chorégraphie et mise en scène Maro Akaji
Musique Keisuke Doi et Jeff Mills
Costumes Kyoto Domoto
Décors Yasahiko Abeta
Avec Maro Akaji, Takuya Muramatsu, Emiko Agastuma, Ikko Tamura, Atsushi Matsuda, Tomoshi Shioya, Barrabas Okuyama, Daiichiro Yuyama, Kohei Wakaba, Naoya Oda, Yuta Kobayashi, Yoshihiro Kim, Seiya Miyamoto, Akiko Takakuwa, Naomi Muku, Azusa Fujimoto, Jongye Yang, Oran Ito, Yuna Saimon, Aya Okamoto, Yuka Mita, Sakura Kashiwamura

Les 11, 13, 18 et 20 juin 2015 à 20h

Maison de la Culture du Japon à Paris
101bis, quai Branly – 75015 Paris
Réservations  01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

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