ƒƒ article de Denis Sanglard
C’est un conte noir et très cruel. Une histoire de viol, de mutilation et de cannibalisme. De rédemption, aussi. L’histoire d’un jeune roi aux instincts monstrueux, violant sa toute jeune belle-sœur, pas même adolescente, lui coupant la langue, et la vengeance atroce qui s’ensuivit. A l’origine il y a un conte d’Ovide, Procné et Philomèle, tiré des Métamorphoses, adapté pour le théâtre par Philippe Minyana, avec tout le talent d’écriture minutieuse qu’on lui reconnaît. Théâtre-récit mis en scène avec intelligence par Alexandre Horréard, une petite merveille de rude délicatesse et de cruauté absolue. Un ouvrage délicatement ciselé. Un travail d’épure pour donner à entendre la langue et ses milles et une nuances, porté par deux actrices, Louise Ferry et Clémence Josseau, pour l’occasion conteuses et bruiteuses, aussi. C’est fait avec trois fois rien, donc avec beaucoup, quelques accessoires de fortune comme trouvés là, quelque fois bricolés avec l’application et la naïveté des enfants. C’est d’ailleurs toute la force poétique de cette création de jouer sciemment au « si magique » de l’enfance, d’être à la fois pleinement dans le récit et le jeu, et en dehors. Jouant avec une heureuse distance, elles sont avec une conviction troublante la petite, la reine et le roi, bourreaux et victimes au fil de la narration. Mais conteuses avant tout, les « il dit » « elle dit » résonnent et concluent chaque réplique, accusant toujours le récit insoutenable de Minyana. Tour à tour elles prennent la parole, et quand l’une raconte, prend en charge le récit et incarne, la seconde bruite à vue, chante aussi, et c’est tout un monde, un paysage sonore d’une inquiétante étrangeté qui émerge et accompagne la narration sans jamais la brouiller. Notre imaginaire se met vite en branle, et c’est avec douceur, dans une lumière entre chien et loup, qu’on s’enfonce dans l’horreur la plus sanglante. Louise Ferry et Clémence Josseau réveillent en nous, l’air de rien mais avec l’assurance des conteuses consciente de leur art oratoire, cette part d’enfance enfouie qui aime tant à trembler, à convoquer les cauchemars les plus sombres, à peupler de monstres nos nuits et l’univers des adultes. Dans cette forêt profonde on se surprend ici à s’y perdre avec bonheur. C’est avec un talent certain qu’elles restituent la beauté effrayante et sanglante du conte de Minyana, son écriture si pointue et tranchante, son pouvoir intensément évocatoire. Et par cette mise en scène singulière d’y prendre nous aussi, notre part.
La petite dans la forêt profonde de Philippe Minyana
Mise en scène : Alexandre Horréard
Avec : Louise ferry et Clémence Josseau
Du 27 novembre au 20 décembre 2022
Du dimanche au mardi à 19 h
Théâtre des Déchargeurs
3 rue des déchargeurs
75001 Paris
Réservations 01 42 36 00 50
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