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La Parenthèse de sang, écrit par Sony Labou Tansi, mis en scène par Thomas Nordlund,Théâtre des Déchargeurs

Jan 17, 2022 | Commentaires fermés sur La Parenthèse de sang, écrit par Sony Labou Tansi, mis en scène par Thomas Nordlund,Théâtre des Déchargeurs

 

 

 © Théo Bianconi

ƒƒ article de JB Corteggiani

Mâtin, quel texte ! On griffonne dans le noir, on essaye d’attraper des bouts : « Le devoir d’un condamné est d’avoir une dernière volonté. Sinon, on le tue avec une certaine mauvaise conscience. » Ou encore : « On devrait vous condamner à trente morts. – Il ne fut créé qu’une mort. – Qu’il meure par régions ! Coupez-lui d’abord les oreilles. »

Sony Labou Tansi, loin d’être un inconnu, est une figure majeure de la littérature d’Afrique noire. Né au Congo belge en 1947, mort en République du Congo en 1995. Entre ces deux dates, la décolonisation, et son cortège postérieur de satrapes locaux.

La Parenthèse de sang est une farce ubuesque. Dans la maison de Libertashio, héros de la résistance, débarque une soldatesque qui refuse de croire qu’il est mort. Qu’à cela ne tienne, les troufions vont appliquer la méthode du grand maître de l’ordre de la Gidouille : « Je tuerai tout le monde et je m’en irai. » Sauf qu’ils sont coriaces, ces résistants (les sœurs de Libertashio, son neveu, plus tard un médecin, sa femme et un curé). Ils renâclent à se laisser tuer comme ça. Ils ont ce culot de vouloir mourir debout, « mourir en i ». Ils inventent d’extravagantes dernières volontés : cracher à la gueule du sergent ; rester vivant ; mourir dans la capitale, sous les yeux du président ; épouser le sergent avant de mourir. Comme le sergent, « sergent depuis l’arrière-ventre de sa mère », est légitimiste, il accède à cette demande en mariage. La farce atroce peut se développer et s’embringuer dans un absurde encore plus absurde.

Les soldats, qu’une tremblote tropicale tout du long fait tressauter, n’ont pas « des gueules de lapin », comme les palotins imaginés par Alfred Jarry… enfin, comment savoir ? Leur visage est couvert de peintures tribales, blanc crayeux, rouge vif. Pour le reste, armures de jute, épaulettes de charpie, perruques en serpillière, casques coniques – à mi-chemin entre les costumes imaginés par Orson Welles pour son Falstaff et ceux des barbares du Médée de Pasolini. Judicieux parti-pris, conforme au souhait de Lansi : « Ne faites pas porter à mes personnages des vêtements qui concordent avec leur rang ; vous seriez coupables d’une méprise mortelle et d’un terrible manque d’imagination. Car ici commence une tragique jouerie. » Pour scander et porter cette jouerie, des ratatatatam de tambour, des danses, des chants, des grimaces, des extases, des corps pendant comme des pièces de boucherie. Petit théâtre de la cruauté.

Petit parce que sur la scène de quatre mètres sur quatre de la salle Vicky-Messica des Déchargeurs, le metteur en scène, Thomas Nordlund, a dû en rabattre par rapport à ce qu’il avait imaginé : il n’y aura pas de comédiens suspendus dans les airs, pas de dispositif de cordes tirant les soldats comme s’ils étaient des marionnettes, et la tombe de Libertashio ne se lèvera pas en majesté… Qu’importe, les douze comédiens de la compagnie Bousculade se déploient… sans se bousculer dans une chorégraphie resserrée, bien conçue, bien exécutée.

A l’issue de la représentation, c’est encore le texte de Lansi qui vibre dans les oreilles. On se souvient de la langue incroyablement belle rapportée par Jean Hatzfeld dans Une saison de machettes, la langue des bourreaux hutus massacreurs de Tutsis au cours du génocide rwandais de 1994 – une langue qu’on est gêné d’admirer. On se souvient des romans de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, où le français est travaillé par le malinké. Des pièces de Wajdi Mouawad aussi, surtout de celles, océaniques, du cycle Le sang des promesses. On se dit que décidément, les grands vents de la francophonie ont apporté un souffle salutaire à une littérature française trop longtemps corsetée par une écriture blanche – crispée sur l’obsession de l’impossibilité de dire.

 

© Théo Bianconi

 

La parenthèse de sang, écrit par Sony Labou Tansi

Mise en scène par Thomas Nordlund

Lumières : Raphaël Saier

Avec Saabo Balde, Marine Bellando, Emilie Berry, Paul Cédat, Perrine Derouané, Tristan Diquero, Nicolas Foray, Sarah Labrin, Etienne Lagarde, Yvon-Gérard Lesieur et Rebecca Vaissermann

Assistante à la mise en scène : Salomé Rousseau

Création sonore : Thomas Nordlund

Scénographie et costumes Laure Catalan, assistée de Pierre Pouillot

 

Le texte La parenthèse de sang est édité dans la collection « Monde noir » d’Hatier

 

Du 5 au 29 janvier 2022

Durée : 1 h 50

 

 

Théâtre des Déchargeurs

3, rue des Déchargeurs

75 001 Paris

Réservations : 01 42 36 00 50 / billetterie@lesdechargeurs.fr

www.lesdechargeurs.fr

 

 

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