À l'affiche, Critiques // La nuit des rois, de William Shakespeare, mise en scène de Delphine Cottu au Théâtre de l’Aquarium / Festival des Ecoles

La nuit des rois, de William Shakespeare, mise en scène de Delphine Cottu au Théâtre de l’Aquarium / Festival des Ecoles

Juil 03, 2017 | Commentaires fermés sur La nuit des rois, de William Shakespeare, mise en scène de Delphine Cottu au Théâtre de l’Aquarium / Festival des Ecoles

© Pascal Gély

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

Le théâtre école Kokolampoe, le TEK, dont les élèves sont issus des différentes communautés du bassin de l’ouest guyanais, mais dont la majorité est saramaka, présente sa deuxième promotion. Cette école de théâtre née au bord du Maroni, fondée par Ewlyne Guillaume et Serge Abatucci, nous l’avions découverte pour une très belle et singulière adaptation du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare (Le songe d’une autre nuit, mise en scène par Jacques Martial, ici même chroniqué en juillet 2014) lors du Festival Paris Quartier d’été, dont ils étaient les invités. Une consécration pour cette école qui a fait du métissage des cultures son objectif et sa force et permet à ses élèves d’acquérir des outils pour la création professionnelle au sein d’un établissement des arts et techniques de la scène, le bout des mondes.

Aujourd’hui c’est la deuxième promotion du TEK, celle de 2016, qui se présente à l’Aquarium avec La nuit des rois, Shakespeare toujours, qui se prête si bien avec le métissage depuis Peter Brook ou Ariane Mnouchkine, mise en scène par Delphine Cottu, résidente du Théâtre du Soleil. Accompagnée par deux jeunes sortis de l’ENSATT de Lyon et deux acteurs martiniquais, cette troupe qui entre de plain-pied dans la profession est une heureuse découverte. Sur ce vaste et profond plateau nu bordé à cour et jardin de pontons, Delphine Cottu opte pour la simplicité. Shakespeare est affaire de corps et de langue, de circulation. Tout ici est fluide, rapide et sans temps mort. Mais ce qui frappe en premier lieu c’est combien nous sommes d’emblée happés par ces jeunes comédiens qui nous entraînent avec eux dans cette histoire sans traîner où les sexes et l’ordre social le temps d’une nuit, la nuit de l’Epiphanie, se troublent et s’inversent. Histoire de jumeaux, de séduction, de désir et d’emprise, de folie aussi. Il y a chez ces jeunes comédiens une appétence, une belle insolence, à s’emparer de ce texte et à vous le débouler sans afféterie, de vous le servir sans manière mais avec une sacré intelligence, voire un instinct sûr, avec une simplicité de moyen qui n’est pas qu’une élégance scénographique mais la marque aussi souterraine des difficultés matérielles de cette école dont ils tirent parti sans barguigner. Et c’est haut la main et au galop – pas de temps mort – qu’ils s’imposent et imposent leur jeune talent. La traduction d’Ariane Mnouchkine sur laquelle ils s’appuient ne fait pas oublier leurs accents divers (la langue parlée de ces comédiens est Djuka, le saramaka, le néerlandais, le portugais), mais cet accent donne une dynamique supplémentaire, une autre appréhension du rythme, de la circularité de la parole qui prend un relief singulier. Parfois, rarement il est vrai, on peine à comprendre mais cela n’a aucune importance ici. Ce qui compte c’est ce métissage dont Shakespeare devient le point d’intersection et qui donne à la fable un sens nouveau, débarrassé d’une culture eurocentrée. Delphine Cottu vient du théâtre du Soleil et il y a d’évidence un héritage. Pour le meilleur dans cette cohésion de la troupe autour d’un univers dont ils sont ici le centre, le sujet et l’objet. Delphine Cottu s’attache à chacun des acteurs, à leur personnalité, à leur culture. Et loin de créer le chaos, c’est au contraire un des atouts de cette lecture, une ouverture comme un nouvel horizon et qui prouve combien le métissage est une force, un levier. Et ils sont formidables ces acteurs de demain qui vous empoignent Shakespeare sans détour, avec un joli nuancier de jeu et des propositions sans audace – à moins de considérer le dépouillement audacieux – mais toujours justes, au plus près du texte. On rit, on s’émeut, on est bluffé par leur énergie, touché par cette mélancolie qui gagne lentement dans ce décor où la moiteur semble bientôt envahir la nuit et le plateau. La nuit des rois est pour ces acteurs une promesse d’avenir et pour l’école Kokolampoe, mais nous l’avions pressenti lors de la première promotion, la confirmation d’une réussite sans doute fragile mais preuve d’un engagement exemplaire.

 

La Nuit des rois de William Shakespeare

Traduction d’Ariane Mnouchkine
Mise en scène de Delphine Cottu

Assistanat et dramaturgie  Laure Bachelier-Mazon
Costumes  Antonin Boyot Gillibert
Lumière  Frédérique Dugied
Régie générale  Dominique Guesdon
Techniciens  Bryan Afata, Jerrel Vincke

Avec les élèves comédiens du TEK Guyane / ENSATT de Lyon : Kimmy Amiemba, Devano Bhattoe, Josiane da Silva Nascimento, Sylvano Emelie, Rachelle Kodjo, Jessica Martin, Niflia N’Gwete, Myslien Niavai, Damien Robert, Christian Tafanier, Côme Thieulin et les comédiens martiniquais Marc Julien Louka

Du 29 juin au 2 juillet
29 juin à 19h, le 30 juin à 21h, le 1er juillet à 16h et le 2 juillet à 18h

Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
M° Château de Vincennes

Réservations 01 43 74 99 61

www.theatredelaquarium.com

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