© Simon Gosselin
ƒƒ article de Nathalie Tambutet
Seconde mise en scène de Stéphane Braunschweig de la pièce « La Mouette », sa dernière création en tant que directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Une relecture et réécriture scénographique vingt-trois ans après sa première mise en scène en tant que directeur du Théâtre de Strasbourg. Son souhait est celui de révéler la vision de l’avenir que perçoit Tchekhov dès la fin du XIXème siècle et que cette pièce dévoile.
Un store blanc sur toute la hauteur délimite la scène à une bande de jeu. Deux personnages surgissent : Macha, une femme en deuil et Medvedenko, un instituteur, qui se plaint de son maigre salaire. Il est amoureux de Macha. Deux autres les rejoignent. Il s’agit de Konstantin Treplev, écrivain dramaturge, fils d’une actrice célèbre, amoureux de Nina, et de Sorine, l’oncle de Konstantin, retraité et propriétaire du domaine. Sorine se meurt d’ennui à la campagne. Konstantin, lui, expose que sa pièce déplait à sa mère parce qu’elle n’en n’est pas elle l’actrice principale. Il décrit sa mère comme une femme égocentrique et se déplore de sa liaison avec un écrivain célèbre, Trigorine. Ils sont, ici, rassemblés pour assister à la première pièce de Treplev.
Le store se lève et dévoile une scène de fin du monde : un lac asséché, nu, sans eau ni plus de vie sur terre.
La narration de Nina est une métaphore de la mise à nue de l’âme de Treplev. Elle dépeint sa détresse face à une mère centrée sur elle-même, sa propre célébrité, et qui flirte avec l’innommable. En effet, son amant plus jeune qu’elle, renvoi à Treplev sa propre impuissance à être vu et reconnu par sa propre mère, qui ne côtoie que des célébrités. Il n’est rien aux yeux de sa mère, comparé à ces personnalités. Il est en quête de reconnaissance par sa mère.
La pièce de Treplev décrit avec lucidité l’état de ce jeune homme et du monde désertique dans lequel il vit. Un jeune homme livré à lui-même. Il est aussi le reflet d’une jeunesse laissée pour compte, d’adultes préoccupés par eux-mêmes, sans vision d’avenir pour leur descendance. Des êtres pris dans l’immédiateté du présent et le diktat de profiter de la vie aux dépends des conséquences sur les autres et le devenir du monde.
Cette petite pièce dans la grande annonce l’effondrement psychique de Treplev en raison d’un monde où règnent des amours impossibles, des deuils impensables, des destins contrariés par l’avidité, la paupérisation du salariat, la solitude par incapacité à se lier à des personnes préoccupées uniquement par elles-mêmes. La plainte sans cesse présente chez ces personnages sans solution autre. Et pourtant, Treplev énonce que l’art est une voie contre la déshumanisation et l’assèchement du monde mais à condition que l’art ne soit pas le pâle reflet de la réalité des gens mais transmette des messages, des rêves, des anticipations.
Cette pièce surprend par sa contemporanéité. Elle nous réfléchit notre monde actuel : chacun connecté avec son téléphone, avec soi-même, la quête de l’éternelle jeunesse valorisée niant la mort mais aussi celle de la satisfaction immédiate afin de profiter de sa vie. Pas de souci pour l’avenir qu’on laisse. Un monde qui assèche les âmes, quand le sens de la vie n’a plus de sens autre que la satisfaction et la réalisation de soi, quand la quête du matérialisme et de soi déshumanise. Un monde où l’objectivation des êtres prédomine, à l’image du personnage de Nina, la mouette. Elle est le symbole de la liberté et des rêves mais Nina se brisera les ailes suivant son avidité de succès. Trois destins de femmes du XIXème siècle : une jeune femme dupée, une femme libérée et une femme mal mariée. La condition féminine est mise sur le devant de la scène.
Il est intéressant de mettre au premier plan cette petite pièce, métaphore de la détresse humaine et de la fin du monde, pour redonner toute sa place à la sublimation et la symbolisation humanisantes.
Une relecture enrichissante.
© Simon Gosselin
La Mouette d’Anton Tchekhov
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Avec Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Boutaïna El Fekkak, Denis Eyriey, Thierry Paret, Ève Pereur, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jules Sagot, Jean-Philippe Vidal
Traduction : André Markowicz, Françoise Morvan
Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son : Xavier Jacquot
Maquillage, coiffures : Émilie Vuez
Assistant à la mise en scène : Jean Massé
Réalisation du décor : Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe
Durée 2h20
Du 07 novembre au 22 décembre 2024
Du mardi au samedi à 20h
Dimanche à 15h
Relâche les lundis
Représentations surtitrées en anglais les 9, 16, 23, 30 novembre et 7, 14, 21 décembre
Représentations avec audiodescription les jeudi 5 et dimanche 8 décembre
Odéon Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
Réservations : location@theatre-odeon.fr
Tél. : 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.eu
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