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La mouche, librement inspiré de la nouvelle de George Langelaan, adaptation et mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, Théâtre des Bouffes du Nord

Août 10, 2021 | Commentaires fermés sur La mouche, librement inspiré de la nouvelle de George Langelaan, adaptation et mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, Théâtre des Bouffes du Nord

 

© Fabrice Robin

 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

« Pourquoi maman tu ne m’écoutes jamais ? » Robert vit avec sa mère, Odette. Couple fusionnel, entre amour et haine. Robert la cinquantaine, célibataire, bricole dans son laboratoire, un garage au fond du terrain vague qui tient lieu de jardin. Pendant qu’Odette cancane sur le voisinage, lui, dans le plus grand secret met au point la machine à téléporter. Si ça passe avec les nains de jardins ou le lapin, les steaks ont un sale goût de plastique et pour Charly, la chienne adorée d’Odette, c’est raté… à moins d’avoir incidemment inventé le micro-onde. Et puis survient Marie-Pierre pour une botte de radis. Odette, las du célibat du fiston, provoque une rencontre à l’apéro. Désastre total. Marie-Pierre revient. Marie-Pierre rêve de Saint-Tropez. Robert lui propose alors d’essayer sa machine pour l’y expédier. Et Marie-Pierre est proprement atomisé. Disparue, corps et bien. Pour la retrouver et fuir l’inspecteur Langelaan chargée de l’enquête sur cette mystérieuse disparition, Robert va tenter de se téléporter. C’est sans compter sur une mouche…

Valérie Lesort et Christian Hecq font encore une fois merveilleusement mouche avec cette adaptation de la nouvelle de George Langelaan. Avec cette idée originale et génialement farfelue de s’inspirer aussi de l’émission Strip-Tease, l’épisode « la soucoupe et le perroquet » où un garçon célibataire vivant avec sa mère construisait une soucoupe volante dans son jardin. Plus proche aussi, par son esthétique cheap et bricolo, du film « La mouche noire » réalisé par Kurt Neumann en 1958 que du remake de Cronenberg de 1986. L’impression fugace aussi, et étrange, d’une production de la Hammer revisitant la célèbre émission belge… C’est d’une inventivité débridée et d’une folle poésie. Surtout ils évitent l’écueil pour un tel sujet de la surenchère. Tout n’est qu’ellipse et suggestion. Pas de grands effets, non, mais au contraire une économie de moyen radicale, faite en apparence avec trois fois rien, de bric et de broc, ce qui est beaucoup. Surtout un art consommé de distiller lentement l’angoisse qui finit par vous étreindre et étouffer les rires. Parce que l’on rit beaucoup aux tribulations de ce couple infernal, de cette relation toxique et franchement étrange, entre un fils et sa mère. Avant de basculer dans une tragédie matinée de série B. Où l’horreur la plus noire le dispute à la compassion devant la déshumanisation de Robert et sa résolution radicale et finale.

Valérie Lesort et Christian Hecq plongent aussi dans les grandes années de la télévision et de ses séries, les années 1960 et 1970, qui exploitaient le genre fantastique et la science-fiction. On le sait depuis Hitchcock, à qui un hommage est en toute franchise rendu, combien l’ambiance sonore est d’importance dans ce genre si particulier. Et ce sont justement les génériques de ses feuilletons, regardés avec dévotion et fascination par Robert, qui en grande partie sont la bande-son conçue diaboliquement par Dominique Bataille de cette création. Frisson garanti et intelligente mise en abyme. Avec ce goût d’enfance aussi, celle où l’on jouait à se faire peur devant la petite lucarne. Il y a de ça dans cette création, une part de notre enfance et de ses terreurs retrouvées.

Ajoutons à l’atmosphère sonore et pour le réalisme, l’infernal zézaiement des mouches qui envahissent le plateau et la salle, mouches qu’Odette, armée de sa tapette et pour le malheur de Robert, ne réussit pas à écrabouiller. On en serait presque prêt, nous aussi, à vouloir chasser les importunes.

Valérie Lesort et sa complice Caroline Allemand ont conçu les marionnettes  lesquelles sont si discrètes qu’elles participent de l’illusion. Nous n’y voyions, ou ne voulons ne voir, que du feu.

Et puis il y a cette machine infernale, à téléporter. Informatique vintage, écran vert et pixels, qui participent à cette atmosphère d’un autre temps. Plus qu’un gadget c’est aussi un personnage à part entière, ancêtre d’HAL 9000 on imagine, et qui réserve à Robert bien des surprises.

Robert, c’est Christian Hecq. Cheveux hagard, petit ventre en avant, gourd et taiseux, écrasé par sa mère. Personnage burlesque, pas franchement sympathique. Mais ça c’était avant, avant la métamorphose où Christian Hecq encore une fois démontre tout son talent plastique, ce corps incroyablement souple et bavard, capable de muter à vue sans artifice, ou si peu. Là encore pas d’abus de prothèse ni de maquillage. Christian Hecq est bouleversant dans cette transformation aussi bien morale que physique et dans l’appréhension lucide de cette mutation, de la perte progressive de son humanité. Nous passons du burlesque le plus drôle et pur à quelque chose d’infiniment terrifiant, de pathétique, de tragique.

Avec Christine Murillo il forme un tandem infernal. C’est un duel d’une force comique, aux répliques assassines, mélange de fiel et de vitriol. Il faut souligner ici la qualité des dialogues… Christine Murillo est impayable en mère abusive, manipulatrice, étouffante. Perruque de guingois et blouse de nylon c’est une composition ébourrifante et là aussi qui bascule avec la métamorphose de Robert. Son dernier geste, terrible, est sans doute le premier et ultime geste d’amour pour ce fils incompréhensible, jamais vraiment entendu.

Et puis il y a Marie-Pierre, Valérie Lesort, parfaite dans le rôle de la cruche, rôle ingrat dont elle jubile visiblement.

Stéphan Wojtowicz campe un inspecteur Langelaan épatant. En fixe chaussette, obtus mais pas insensible au charme de la Suze et d’Odette. Pour lui aussi les dialogues sont savoureux et avec Christine Murillo, les deux font une drôle de paire dans un jeu de chats et de souris, un ping-pong verbal digne d’Audiard.

Et ce quatuor est plus qu’à l’aise dans cette mise en scène fluide, cohérente et follement inventive qui joue à multiplier les pistes, les faux indices, à nous tenir en haleine. Une mise en scène qui prend son temps, usant parfois des noirs, coupant l’action à son acmé. Laissant notre imagination galoper, anticiper, s’effrayer. Surtout s’appuyant d’avantage au début du moins sur la relation entre Robert et Odette et sur le cœur de la nouvelle de George Lagelaan, la métamorphose, c’est une création d’une très belle théâtralité. Poétique, burlesque et tragique. D’une grande humanité. Il faut oublier les films, pour ceux qui les ont vus, car nos deux metteurs en scène, délibérément et avec raison, s’en sont éloignés, jouant avec bonheur et malice sur les ressources du théâtre, l’illusion et la magie. Sa fragilité. Là aussi on peut y voir ramper au plafond les hommes devenus mouches. C’est vrai parce que c’est du théâtre. C’est toute la force et le talent monstre de Valérie Lesort et de Christian Hecq de nous donner à croire à ça, avec peu et volontairement mais un si grand talent, une grande générosité. N’en doutons pas La mouche va faire le buzz.

 

© Fabrice Robin

 

 

La mouche librement inspiré de la nouvelle de George Langelaan

Adaptation et mise en scène  Valérie Lesort et Christian Hecq

 

Scénographie Audrey Vuong

Lumières Pascal Laajili

Création sonore et musique Dominique Bataille

Guitare Bruno Polius-Victoire

Costumes Moïra Douguet

Plasticienne Carole Allemand et Valérie Lesort

Assistant à la mise en scène Florimond Plantier

Création vidéo Antoine Roeggiers

Technicien vidéo Eric Perroys

Accessoiristes Manon Choserot et Capucine Grou-Radenez

 

Avec Christian Hecq de la Comédie Française, Valérie Lesort, Christine Murillo, Stéphan Wotjowicz

 

 

Du 7 au 25 septembre 2021

 

Du mardi au samedi à 20 h 30
Matinées les dimanches à 16 h
Matinée le samedi 25 septembre à 15 h 30

 

Théâtre des Bouffes du Nord

37(bis) boulevard de la Chapelle

75010 Paris

Réservations 01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

 

 

 

 

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