ƒƒ article de Victoria Fourel
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Shakespeare se joue et se rejoue à l’infini, à toutes les époques et surtout sur tous les tons. Mélanie Leray l’a compris, et décale cette mégère dans des années 60 de série B, entre mafieux de comédie et condition féminine malmenée. Bianca, jeune femme douce aimée et désirée de plusieurs hommes, ne pourra se marier que si son aînée Catherine se marie aussi. C’est ainsi que naît une intrigue imaginée par les prétendants de la plus jeune : trouver un mari pour Catherine, moyennant finance.
Shakespeare, comme Musset ou Wilde à leurs façons, se sont attardés sur le paternalisme écrasant de leurs sociétés respectives et sur cette sorte d’enfermement subi par les femmes, par le biais de la comédie. Et c’est l’humour de cette adaptation qui frappe d’abord. Soucieuses de transmettre ces interrogations, la traductrice et la metteure en scène n’en ont pour autant pas oublié de conserver et de protéger la langue de Shakespeare, mais aussi de surprendre par les ‘piques’, les réparties, toujours drôles et parfois franchement osées. Des ajouts très modernes, et un décalage total de contexte et d’époque ne font pas de mal aux grandes pièces, et permettent d’en contourner les écueils. Sans tomber dans la redite, cette mise en scène surprend et fait rire. Avec ses couleurs, ses entrées de sitcom, et son côté grand spectacle, la pièce offre une vision originale du texte et des personnages. Même si l’on n’adhère pas à tout, il y a une vraie continuité dans la lecture des uns et des autres. Malgré tout, on regrette que le côté ‘gueulard’ de Catherine finisse par agacer, et tombe dans la caricature de la femme forte qui parle fort. De la même façon, le personnage de Petruccio perd en force en en faisant beaucoup.
Et en faire beaucoup, c’est le principal problème que rencontre le spectacle. Ce désir de tout revisiter, de tout revoir, donne une mise en scène lumineuse, chaleureuse, moderne, mais qui use de beaucoup de moyens : vidéos, plaques tournantes, musique, chant en live, confettis, nudité, interactions avec le public, espaces distincts sur le plateau. C’est alors que le spectateur perd le réel propos en ne sachant plus où donner de la tête visuellement. On se surprend parfois à regarder sans suivre. Et comme la metteure en scène a choisi de prendre le contre-pied de certains textes et de certaines intentions, et notamment de la fin, c’est forcément compliqué pour le spectateur.
Mais cette fin, justement, pleine de force et d’espoir, donne l’envie d’en voir plus. Et si la langue de bois pratiquée par les femmes était encore le meilleur moyen d’affirmer leur supériorité ? Entre drame et humour, sketch et manifeste politique, ce spectacle a le poing levé, et cet engagement parfois perturbant mais toujours entier est le reflet d’un très bel élan, un élan de révolution.
La Mégère Apprivoisée de William Shakespeare
Mise en scène de Mélanie Leray
Assistée de Magalie Caillet-Gajan et Vincent Voisin.
Traduction de Delphine Lemonnier-Texier
Adaptation de Mélanie Leray
Scénographie de David Bersanetti
Costumes de Laure Mahéo
Lumières de Christian Dubeta
Vidéo de Cyrille Leclercq, David Bersanetti
Avec Peter Bonke, Ludmilla Dabo, Laetita Dosch, David Jeanne-Comello, Clara Ponsot, Yuval Rozman, Jean-Benoît Ugueux, Vincent Winterhalter, Jean-François Wolff.Du 4 au 20 mars 2015 à 20h30, les dimanches 8 et 15 mars à 15h
Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet, Paris 4
Métro Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11) RER Châtelet – Les Halles.
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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