Critiques // « La Médaille » d’après Lydie Salvayre, adaptation Zabou Breitman au Rond Point

« La Médaille » d’après Lydie Salvayre, adaptation Zabou Breitman au Rond Point

Sep 11, 2010 | Aucun commentaire sur « La Médaille » d’après Lydie Salvayre, adaptation Zabou Breitman au Rond Point

Critique d’Ottavia Locchi

La Médaille est d’abord le roman de Lydie Salvayre, écrit en 1993. Zabou Breitman (Molière du Théâtre Privé et de l’Adaptation en 2009), en a fait l’adaptation théâtrale ainsi que la mise en scène.

L’Usine Bisson organise une remise de médaille pour ses employés méritants. Les festivités sont organisées, les discours travaillés et la mise en place proprement effectuée. On rencontre alors les employeurs et les employés, qui se succèdent à tour de rôle derrière un micro tout au long de la cérémonie. Les médaillés, trois personnes un peu âgées, attendent sagement de recevoir la fameuse récompense, alors que les trois dirigeants de l’entreprise mènent l’événement avec enthousiasme et profitent de ce rassemblement exceptionnel pour clamer les valeurs de l’entreprise, en redorer le blason et introduire de la modernité dans leurs propos. Contrastant avec ce discours, dans leur temps de parole, les ouvriers oubliés fatigués et abîmés racontent à l’auditoire, leur vie médiocre. Pour parfaire le tableau, une petite secrétaire chétive illustre les discours vigoureux de ses patrons, tandis que devant la scène, le chef de sécurité veille au bon déroulement de la cérémonie. Seulement derrière les bonnes impressions et les jolis discours, on entend au loin une clameur se faire de plus en plus intense : les ouvriers de l’usine se rebellent…

© Mario Del Curto

À travers le roman d’origine, Zabou Breitman défend la satire sociale et tient à « préserver l’ironie de Lydie Salvayre, et sa drôlerie mordante » en montrant le décalage énorme qui existe dans le monde du travail, et particulièrement lors de la remise des médailles : « C’est à la fois une manière assez respectable de mettre en valeur le travail des uns et des autres. Pourtant, c’est aussi une approche dégradante de l’individu que l’on distingue dans son travail. » Nous l’avons compris, cette pièce se base sur un rituel qui, dans cette situation, démontre sa superficialité : le revers de la médaille ?

Le revers de la médaille

En considérant que cette remise de médaille est une énorme comédie, on y trouve largement son compte. Les personnages sont parfaits : Caroline Gonce campe une directrice en tailleur rose faussement complaisante et délicieusement insupportable ! Jean-Luc Couchard nous assomme d’oraisons grotesques et revendicatrices avec brio et persuasion, tandis que Delphine Théodore court partout en secrétaire/assistante perdue mais attentive et surtout très dévouée. Du côté des ouvriers, Marilyne Even nous apparaît en vieille veuve évaporée complètement à l’ouest (un régal !), Jean-Claude Frissung est devenu ouvrier plus vrai que nature et Geneviève Mnich nous embarque dans ses récits épiques. Pour terminer la belle distribution, le très convaincu Eric Prat interprète un sociologue aux idées un peu « anciennes » et François Levantal profite d’avoir le micro pour laisser s’exprimer le silencieux et rigoureux responsable de la sécurité.

Quelle justesse dans le jeu des comédiens ! Malgré le contexte un peu carnavalesque, pas de chichis ni de réactions accentuées. Ils sont là, énergiques, et on les croit. Peut être un peu trop d’ailleurs.

© Mario Del Curto

Le spectateur étant volontairement plongé dans une ambiance de « cérémonie d’entreprise », la mise en place est extrêmement basique : lumière blanche, un micro central, une table et quelques chaises pour seul décor. De plus, les discours sont longs et les textes s’étendent, s’étendent, s’étendent… À défaut de nous faire voyager, cette succession d’allocutions sans fin a tendance à nous ennuyer. C’est dommage, car dès qu’un échange a lieu, la situation prend vie et nous tire de la torpeur des monologues. Peut-être Zabou Breitman a-t-elle voulu, dans son adaptation, mettre en valeur l’ennui provoqué par le cérémonial et faire ressortir ce fameux décalage social ?

Hélas, la dimension de la satire disparaît dès notre entrée en salle pour devenir caricature. Si le parti pris était de nous remettre dans un contexte « kermesse », c’est assez réussi car l’événement comporte son plein de petites histoires, anecdotes et attitudes burlesques. Cependant, l’impression persiste d’assister à une banale imitation du « bas-peuple ». Les manifestations de ce genre existent ! Du coup, la « satire sociale » espérée passe à la trappe et on assiste à une superposition de clichés tous plus grotesques les uns que les autres. Discours racistes et extrémistes compris, sans oublier la chenille géante dans laquelle les personnages nous entraînent à la fin de la pièce. Pièce avec chenille : c’était marqué sur l’affiche ! J’aurais dû me méfier. Une interrogation demeure cependant : quelle est l’utilité de faire gronder les ouvriers en fond sonore ? Démontrer la lâcheté des responsables ? Ou simplement faire faire un peu de jogging aux comédiens ?

Zabou Breitman, dans son adaptation théâtrale, a perdu tout le côté romanesque qui donnait une dimension intéressante à cette remise de médaille. On assiste hélas à un spectacle très plat, tout de même comique (et heureusement !) mais sans ouverture intellectuelle et se noyant dans des monologues interminables. Quoi qu’il en soit, une pièce se terminant par une chenille se termine forcément en eau de boudin.

La Médaille
D’après : Lydie Salvayre
Adaptation et mise en scène : Zabou Breitman
Avec : Jean-Luc Couchard, Maryline Even, Jean-Claude Frissung, Caroline Gonce, François Levantal, Geneviève Mnich, Éric Prat, Delphine Théodore
Assistante à la mise en scène : Marjolaine Aizpiri
Lumières : David Perez
Son : Patrick Ciocca

Du 9 septembre au 9 octobre 2010

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

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