© Charles Duprat
ƒƒ article de Sylvie Boursier
Papagena, Papageno, Pamina, Tamino, Sarastro, Monostatos, le livret de la Flûte enchantée ressemble à une bande dessinée de Tim Burton avec une reine toxique de la nuit, des voiles laineux, un gnome reptilien et un Quasimodo luciférien, vive Halloween !
C’est l’histoire de Tamino, jeune prince venu d’ailleurs, qui, sur les injonctions de la Reine de la Nuit, s’aventure dans le royaume de Sarastro et se confronte à de terribles épreuves pour l’amour de Pamina. C’est aussi l’histoire de Papageno, oiseleur facétieux, n’aspirant qu’à manger, boire et… trouver sa Papagena ! Récit initiatique, nuit des morts vivants et commedia dell arte buffa la Flûte enchantée est un mystère que l’on n’a jamais fini de comprendre. Les idées les plus novatrices des Lumières y côtoient le vaudeville désopilant.
La mise en scène de Robert Carsen privilégie la part métaphysique de l’œuvre plus que sa féerie de rêve éveillé à la poésie intuitive. D’une terre battue de cercueils émergent les protagonistes avec en toile de fond des forêts obscures, grâce à un remarquable travail sur la lumière. Les comédiens se perdent dans une sorte de no mans land, éclairés d’une lumière trouble, métaphore peut être de notre condition de simples mortels, errants sur les ossements des morts que nous rejoindrons bientôt. Les trois dames voilées de noir à l’image de leur reine sont indifférenciées. Elles en pincent pour Tamino et humanisent l’ouverture de ce théâtre d’ombres par leur coté drôle presque touchant. La soprane Aleksandra Olczyk campe une reine au suraigu parfaitement balancé et Pavol Breslik un Tamino bourré de charme sorti d’une soirée de la jet set avec son costume blanc immaculé. Malgré la justesse des voix et la subtilité de la direction d’acteurs la première partie parait longue avec pour seul changement les couleurs d’une forêt aux quatre saisons.
Ensuite l’esthétique épurée offrent des images saisissantes comme le « baiser de la mort » de Papageno à une mariée morte vivante (extraordinaire composition et maquillage de Ilanah Lobel-Torres) à l’image des danses macabres du Moyen Age. Tamino et Papageno descendent sous terre avec l’ombre portée d’immenses échelles, seulement éclairées par la béance des tombes. Vivre c’est apprendre à mourir, tel est le secret de l’initiation selon Robert Carsen et le prix à payer pour accéder à une vérité relative car humaine.
La basse de Jean Teitgen en Sarastro fait merveille avec une amplitude contenue (Mozart n’est pas Verdi !) qui nous ravit, on est suspendu à ses lèvres. Mathias Vidal est saisissant en Monostratos, un mélange du Bossu de Notre Dame et de M le Maudit, une très belle composition vraiment. Mais le maitre des lieux est bien l’inénarrable Papageno, Mikhail Timoshenko, que l’on sent chez lui à Bastille. Le baryton puissant incarne l’oiseleur vibrionnant sans le caricaturer avec beaucoup d’humour et de tendresse, la salle est avec lui.
Nos oreilles sont aux anges, on pourrait même fermer les yeux tant la lanterne magique de Robert Carsen projette un visuel intérieur plus que solaire. Après tout, les personnages centraux de cet opéra mystérieux ne sont-ils pas la musique et le chant ? L’alliance entre les deux est parfaite, savante et simple, tellement mélodique qu’il est impossible de quitter la salle sans garder longtemps en tête les airs les plus joyeux. La chef Oksana Lyniv est d’ailleurs copieusement applaudie. On entend l’effroi de la Reine de la Nuit, les émois de Pamina, les clowneries de Papageno, la grandeur du prince Sarastro et l’éveil à la sagesse du Prince Tamino.Mozart allait trois mois plus tard tirer sa révérence et joue d’une subtilité musicale inégalée, parfaitement résumée par le couple nouvellement initié « nous marchons par la magie de la musique, joyeux à travers les ténèbres ».
© Charles Duprat
La Flûte enchantée, musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Livret : Emanuel Schilkaneder
Mise en scène : Robert Carsen
Direction Musicale : Oksana Lyniv
Chef de Chœur : Alessandro di Stefano
Décors : Michael Levine
Costumes : Petra Reinhardt
Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet
Avec : Jean Teitgen, Pavol Breslik, Nicolas Cavallier, Niall Anderson,Nicholas Jones, Aleksandra Olczyk, Nikola Hillebrand, Margarita Polonskaya, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Claudia Huckle, Mikhail Timoshenko, Ilanah Lobel-Torres, Mathias Vidal et en alternance Fabian Bellon, Anton Kuhnle, Erwin Li, Simon Engel, Christian Müller, Philipp Rahn
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Les 5,7,9,12,15,17,19,21 et 23 novembre 2024 à 19h30
Durée : 3h05 avec entracte
Opéra Bastille
Place de la Bastille
75012 Paris
Réservation : www.operadeparis.fr
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