© Nicolas Martinez
Article de Nicolas Thevenot
Svetlana Alexievitch a produit une œuvre unique en son genre. De livre en livre elle prête l’oreille et collecte ces récits intimes qui narrent dans un puissant chant choral, souvent bouleversant, parfois intenable, l’histoire de l’URSS : Tchernobyl, l’Afghanistan ou bien encore l’effondrement de l’URSS comme dans La fin de l’homme rouge.
Le spectacle d’Emmanuel Meirieu, s’il reprend le titre de l’œuvre, ne peut évidemment en rendre compte que pour une part bien infime au regard de la totalité du livre. L’adaptation, en particulier le choix des récits, traduit immédiatement l’intention du metteur en scène quant à ce projet : amorçant son spectacle avec l’histoire la plus terrible (le suicide d’un jeune garçon), la même tonalité dramatique caractérise les autres récits mis en scène alors que Svetlana Alexievitch nourrit son ouvrage de paroles beaucoup plus variées et contrastées. Il y a ainsi des témoignages vibrants d’adhésion, indispensables pour pouvoir comprendre le traumatisme que représenta pour beaucoup de soviétiques la chute du bloc de l’URSS, l’avènement de l’économie de marché et le désenchantement qui suivit.
Ce parti pris peu nuancé conduit à un storytelling sensationnel, encore renforcé par la direction d’acteur : Emmanuel Meirieu opte pour une incarnation fleurant bon la naphtaline (période stalinienne) qu’on ne pensait plus pouvoir trouver sur nos scènes. On a du mal à imaginer que ce même lieu accueillait il y a quelques semaines la dernière pièce de Peter Brook racontant dans le plus grand dépouillement, mais en nous saisissant profondément, d’autres pages dramatiques de l’URSS. Les comédiens de La Fin de l’homme rouge (à l’exception d’Evelyne Didi dont la retenue fait un bien certain) s’adonnent à la fabrique de personnages, affectés et psychologisés à l’excès, surjouant dans des compositions Actor Studio ce qui se passe de jeu. Les mots de Svetlana Alexievitch sont d’une telle puissance que vouloir les incarner dans des personnages aux traits grossiers se fait au détriment du texte qui en devient inaudible, et parfois insupportable. Aucun questionnement éthique ne semble avoir travailler cette position esthétique.
La scénographie d’une grande beauté, étrangement poétique et puissamment évocatrice, était pourtant l’écrin idéal pour faire résonner ces mots : cette sorte de salle des fêtes décatie, avec son estrade vermoulue à la moquette à moitié arrachée surplombant une salle au parquet défoncé envahi par le sable, d’où chaque récitant monterait faire son récit comme à l’époque soviétique pour recevoir son diplôme. Dans cet espace baroque, le micro sur pied offrait suffisamment de corps à chacun des locuteurs pour se passer d’une telle incarnation. C’est dommage.
D’autant plus que ces choix nous semblent conduire à une profonde trahison de l’œuvre de Svetlana Alexievitch : les êtres qui se sont confiés à la plume de l’écrivaine sont finalement réduits à n’être que des monstres de foire donnés à voir au camp des vainqueurs : l’Occident capitaliste, ainsi renforcé dans sa prétention à toujours avoir raison.
© Nicolas Martinez
La Fin de l’homme rouge, d’après le roman de Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de Littérature 2015
Mise en scène et adaptation Emmanuel Meirieu
Traduction Sophie Benech
Musique Raphaël Chambouvet
Costumes Moïra Douguet
Lumières, décor, vidéo Seymour Laval et Emmanuel Meirieu
Son Félix Muhlenbach et Raphaël Guenot
Maquillage Roxane Bruneton
Avec Stéphane Balmino, Evelyne Didi, Xavier Gallais, Anouk Grinberg, Jérôme Kircher, André Wilms et la voix de Catherine Hiegel
Du 12 septembre 2019 au 2 octobre à 20 h (du mardi au samedi à 21h)
Durée 1 h 50
Théâtre des Bouffes du Nord
37 (bis), bd de La Chapelle
75010 Paris 75014 Paris
Réservation au 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com
TOURNÉE
Du 8 au 19 octobre 2019
Théâtre de la Criée, Marseille
www.theatre-lacriee.com
1er et 2 novembre 2019
Forum Meyrin, Suisse
www.forum-meyrin.ch
Du 5 au 7 novembre 2019
Théâtre du Jeu de Paume, Aix en Provence
www.lestheatres.net
Le 9 novembre 2019
Le Carré Sainte Maxime
www.carre-sainte-maxime.fr
Du 13 au 15 novembre 2019
La Comédie de Saint Etienne
www.lacomedie.fr
Le 19 novembre 2019
Théâtre Durance, Château Arnoult
www.theatredurance.fr
Le 22 novembre 2019
Théâtre en Dracénie, Draguignan
www.theatresendracenie.com
Les 26 et 27 novembre 2019
Théâtre d’Angoulême
www.theatre-angouleme.org
Le 30 novembre 2019
L’Agora, Evry
www.scenenationale-essonne.com
Les 3 et 4 décembre 2019
La Halle aux Grains, Blois
www.halleauxgrains.com
Le 6 décembre 2019
Le Quai des Arts, Argentan
www.quaidesarts.fr
Le 10 décembre 2019
Mars – Mons arts de la Scène, Mons, Belgique
www.surmars.be
Les 13 et 14 décembre 2019
Scène Nationale Ollioules, Châteauvallon
www.chateauvallon.com
Le 7 janvier 2020
Le Radiant-Bellevue, Caluire-et-Cuire
https://radiant-bellevue.fr
Les 9 et 10 janvier 2020
Théâtre national de Nice
www.tnn.fr
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