© Dominique Jaussein
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
La fille de Madame Angot de Charles Lecocq est un petit bijou en trois Actes : une partition et mise en scène enjouées confortées par un texte bien plus engagé que le genre de l’opérette dans lequel l’œuvre est officiellement classée ne le laisserait supposer.
L’intrigue amoureuse, proche du vaudeville le plus classique, s’entremêle avec une intrigue politique dont le sens n’est pas trahi par la transposition de l’action un siècle plus tard par le metteur en scène et directeur de l’Opéra de Lyon Richard Brunel. Dans un Paris mis en ébullition non par les difficultés du Directoire, mais par l’effervescence de 1968, les protagonistes opposent leurs caractères bien trempés, en affirmant communément leur soif de liberté et d’émancipation (sociale, sexuelle…). Les femmes dominent par leur énergie, intelligence et talent ; le dénouement laissant place à tous les possibles.
Clairette est la fille de la fameuse poissarde Madame Angot, porte-parole des parisiens pendant la Révolution, personnage popularisé par une pièce de théâtre à succès, qui connut même des suites. Adoptée et élevée par les marchands de la Halle, elle est promise à l’un deux, Pomponnet, un perruquier un peu benêt, aussi amoureux que désireux de se marier. Un tel arrangement ne pouvait convenir à l’esprit indépendant de la jeune rebelle, romantiquement amoureuse d’un chansonnier contre-révolutionnaire, surveillé par la police.
Sous la direction musicale énergique, dès l’ouverture, de Chloé Dufresne qui donne bien le ton de la partition, l’Orchestre philarmonique de Nice semble prendre du plaisir à accompagner le Chœur enjoué et très en forme, ainsi que les solistes qui offrent tous des prestations convaincantes et interagissent par ailleurs avec brio. Hélène Guilmette tient le rôle principal avec virtuosité, y compris dans la difficulté imposée par le metteur en scène de lui faire chanter le refrain le plus connu dans un mégaphone ! L’idée est vraiment pertinente dans l’esprit de la transposition, mais les puristes peuvent y trouver à redire car la qualité de chant de la soprane québécoise n’est alors plus assurée, à ses cordes vocales défendantes, mais pour si peu de temps. Si Philippe-Nicolas Martin commence un peu abruptement sa prestation au début du premier Acte, la rondeur attendue du baryton dans ce rôle de l’Ange Pitou s’épanouit rapidement et rend crédible son rôle de romantique mâtiné de séducteur opportuniste. Le baryton Mathieu Lécroart campe un Larivaudière aussi désopilant que vocalement puissant, mais toujours précis et Enguerrand de Hys incarne un Pomponnet cocasse dans sa gaucherie et naïveté et très agile dans les aigus. Quant à Valentine Lemercier, elle est une parfaite Mademoiselle Lange, sa tessiture mezzo élégamment utilisée dans le jeu de cette femme libérée et distinguée, offrant par ailleurs un duo digne héritier des « demoiselles » des Parapluies de Cherbourg, délicieuse chorégraphie comprise. Les barytons Antoine Foulon et Mathieu Walendzik, ainsi que la délicate Floriane Derthe complètent parfaitement cette distribution vocale irréprochable. Un désopilant « Américain » (l’exquis comédien Geoffrey Carey) remplace astucieusement Trénitz, le personnage d’un Incroyable, qui permet de moderniser là encore un trait de l’œuvre d’origine, avec la fameuse prononciation du « r ».
La scénographie très riche de Bruno de Lavenère repose sur une tournette qui présente d’abord une belle structure en métal figurant une usine de montage automobile, avec des modèles semi-réduits de voitures bleues et des clefs à molette géantes actionnées par des ouvriers en combinaisons colorées, Les temps modernes façon comédie musicale, déployant des banderoles aux slogans et tags libertaires, avant de laisser place à l’ambiance de la Nouvelle Vague dans une salle de cinéma feutrée de l’Odéon, sous laquelle un bal masqué déjanté fait une belle irruption.
La fille de Madame Angot qui fut créé aux Fantaisies-Parisiennes (à Bruxelles) le 4 décembre 1872, puis à Paris l’année suivante après quelques difficultés dues à la censure, ouvre la nouvelle saison opératique à Nice avec autant de joie qu’à l’Opéra-comique l’an dernier, qui avait le premier accueilli cette production, laquelle renouvelle avec bonheur l’écoute de ce tube du XIXème, d’un compositeur à redécouvrir et qui n’a rien à envier à son maître Offenbach.
© Dominique Jaussein
La fille de Madame Angot de Charles Lecocq
Livret : Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning
Direction musicale : Chloé Dufresne
Mise en scène : Richard Brunel, réalisée par Lise Labro
Assistant à la mise en scène : Daniel Lawless
Chef des chœurs : Giulio Magnanini
Décors et costumes : Bruno de Lavenère
Lumières : Laurent Castaingt, réalisées par Thomas Giubergia
Chorégraphie : Maxime Thomas
Dramaturgie : Catherine Ailloud-Nicolas
Avec : Hélène Guilmette, Valentine Lemercier, Enguerrand de Hys, Philippe-Nicolas Martin, Matthieu Lécroart, Floriane Derthe, Antoine Foulon, Geoffrey Carey, Matthieu Walendzik
Et : l’Orchestre Philharmonique de Nice, le Chœur de l’Opéra de Nice
Les 28 et 29 septembre 2024, à 20h et 15h
Durée : 2h15 (avec un entracte)
Opéra Nice Côte d’Azur
4-6 rue Saint François de Paule
06364 Nice
Réservations : www.opera-nice.org
comment closed